Le samedi va-t-il devenir en Algérie le second jour d’affilée où des manifestions populaires seront régulièrement organisées? Le Hirak compte-t-il ainsi passer à la vitesse supérieure? En tout cas, ce vendredi 9 avril, les manifestants, et particulièrement à Alger, se sont donné rendez-vous pour marcher à nouveau le 10 avril. «Demain à 13h il y’aura une marche. Nous devons tous sortir», ont-ils scandé, avant de passer à leur traditionnel «Dawla madania, machi askaria» (un Etat civil et non militaire).
Pour rappel, deux manifestations ont été récemment empêchées par les forces de l’ordre le samedi. La tentative de samedi dernier a débouché sur une violente répression, mais surtout sur le scandale de l’agression contre un jeune manifestant de 15 ans, Said Chetouane, qui a subi des maltraitances à caractère sexuel dans un commissariat de police à Alger.
Les manifestations qui ont dépassé, ce 112e vendredi, des dizaines, voire des centaines, de milliers de participants ont été enregistrées à Constantine, Tizi-Ouzou, Béjaïa, Oran, Bouira, Jijel, Boumerdes, Médea, Annaba et Skikda.
A Alger, les généraux en ont pris pour leur grade. Cible principale des manifestants, l’armée des généraux est impuissante à faire taire le peuple, en dépit de chahuteurs infiltrés parmi les manifestants qui ont sifflé quand le nom du général Toufik a été scandé. Des sifflements qui n’ont pas pesé lourd face aux centaines de milliers de gosiers, assoiffés d’en finir avec le «gang aux commandes». «Les généraux ya khawana, wa talgou ouladna yssoumou maâna» (les généraux ô traitres, libérez nos enfants pour qu’ils passent le ramadan avec nous), ont répété les manifestants en allusion aux arrestations massives de ces derniers jours.
Toufik et Nezzar dans l’œil du cycloneLes généraux Toufik et Nezzar ont été également particulièrement interpellés ce vendredi: «Moukhabat irhabya/ Toufik, Nezzar Bandya/ manssinach tassïne/ ktltou gaâ zwalya» (Services de renseignements terroristes/ Toufik, Nezzar des bandits/ Nous n’avons pas oublié les années 90/ Vous avez assassiné tous les défavorisés). Ou encore «goulou lToufik chhal DRS mliha/ Chaab maysnssach achr snine dial dbiha/ Goulou chkoune liktal Maatoub ou Hachani/ Goulou ntouma irhab mafia inani » (Dites à Toufik combien la DRS est bien/ Le peuple n’oubliera pas 10 années d’égorgement/ Dites qui a tué Matoub (Lounes) et Hachani (Abdelkader)/ Dites vous êtes le terrorisme et une mafia au grand jour).Sans parler de l’habituel «Y’en a marre les généraux».
Tebboune gratifié d’un nouveau sloganLe président Abdelmadjid Tebboune n’était pas en reste. En plus de l’habituel «Tebboune Lemzawar, jabouh laaskar» (Tebboune l’usurpateur a été placé par les militaires), un nouveau slogan a été chanté ce vendredi. «Tebboune, Tebboune raïss bidoune charya/ Jabouh li genéraux wajiha madanya» (Tebboune, Tebboune un président sans légitimité/ il a été placé par les généraux comme une façade civile).
La France et l’héritage du colonialisme, très présentsLe fameux «Istiqlal!» (indépendance!), brandi par le peuple à la face des généraux qui occupent le pays, est fortement lié à une soif d’indépendance que le peuple estime avoir été différée depuis 1962. L’un des slogans-phare du Hirak depuis plusieurs semaines, et qui a été abondamment chanté ce vendredi 9 avril encore, est: «Stine sna faranssia ya oulad Bigeard/ Hbinaha Jazayrya, dégage dégage/mazal wakfine ya issaba ounjibou hak chouhadas/ Man hbssouch, man hbssouch» (soixante années sous domination française, enfants de Bigeard (Marcel)/ Nous les voulons algériennes, dégage, dégage/ Oh la bande, nous sommes encore debout et nous obtiendrons réparation pour les martyrs de la guerre de libération/ On ne s’arrêtera jamais, on ne s’arrêtera jamais).
Participe du même esprit ce slogan : «Dour annaoura, inchaallah/ nhouhme zkara inchaallah/ hnaya oulad Amirouche/ lmarcharial manwoulouch/talbine, talbine, talbine ahourya» (la roue tourne, inchallah/ on les fera partir par la force/ Nous, les enfants d’Amirouche (Aït Hamouda)/ Nous voulons, nous voulons, nous voulons la liberté!).
Le Hirak voulait faire un accueil à sa manière au Premier ministre français, Jean Castex, qui avait une visite en Algérie programmée dimanche prochain, avant que ce déplacement ne soit annulé, hier jeudi, à la surprise générale. Les manifestants ont préparé des pancartes anti-françaises et même scandé «Noudou ya lwlad, franssa rah oulate» (Levez-vous les jeunes! La France est de retour!).
Les manifestants du Hirak ont le sentiment que la France soutient le pouvoir en place.
Ce 112e vendredi du Hirak montre que la détermination du peuple demeure intacte et que toutes les mesures d’intimation du pouvoir ont échoué. Plus le temps passe, plus le face-à-face des généraux et du peuple va se radicaliser.