D’après les résultats de l’institut Sigma Conseil, diffusés par la télévision publique tunisienne, Kaïs Saïed a obtenu 89,2% des suffrages dès le premier tour des élections présidentielles du dimanche 6 octobre, écrasant le deuxième candidat, Ayachi Zammel, 47 ans, un industriel libéral qui n’a obtenu que 6,9% des voix. Le troisième candidat, Zouhair Maghzaoui, 59 ans et député de la gauche panarabe, s’est adjugé pour sa part 3,9% des suffrages. Des résultats préliminaires officiels sont attendus ce lundi après-midi.
Malgré ce score stalinien, Kaïs Saïed aura perdu près d’un million de voix en comparaison avec les présidentielles de 2019. Et pour cause, la participation s’est établie à 27,7%, contre 45% il y a cinq ans au premier tour, selon l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), l’autorité électorale tunisienne. Son président, Farouk Bouasker, a jugé ce taux «respectable», alors qu’il est le plus faible pour un premier tour de scrutin présidentiel depuis le renversement de Ben Ali en 2011.
Seuls Ayachi Zammel et Zouhair Maghzaoui -des seconds couteaux selon les observateurs- avaient été autorisés à affronter dans les urnes Kaïs Saïed, 66 ans, sur initialement 17 postulants, écartés par l’Isie pour des irrégularités présumées. L’opposition, dont les figures de proue sont emprisonnées, et les ONG tunisiennes et étrangères ont critiqué un scrutin «faussé en faveur de M. Saïed».
Ayachi Zammel, inconnu du grand public, n’a pas pu faire campagne, car il est incarcéré depuis début septembre dernier et condamné à trois reprises à plus de 14 ans de prison pour des soupçons de faux parrainages. Quant à Zouhair Maghzaoui, il était considéré comme un simple «faire-valoir», car porteur d’un projet de gauche souverainiste similaire à celui du président sortant… qu’il soutenait jusqu’à récemment.
Lire aussi : Tunisie: opposants arrêtés, migrants dénigrés, journalistes bâillonnés... La machine répressive tourne à plein régime
«La légitimité de l’élection est forcément entachée quand les candidats qui pouvaient faire de l’ombre à M. Saïed ont été systématiquement écartés», a commenté pour l’AFP l’analyste politique tunisien Hatem Nafti. Le processus de sélection des candidatures avait été très contesté pour le nombre élevé de parrainages exigé, l’emprisonnement de candidats potentiels connus, et l’éviction par l’Isie des rivaux les plus solides du président, dont Mondher Zenaidi, un ancien ministre de Ben Ali.
Pour Pierre Vermeren, expert français du Maghreb, avec une abstention aussi forte, «la légitimité démocratique» de l’élection est «faible». Il a noté au passage des analogies avec les élections présidentielles dans l’Algérie voisine.
Élu en 2019 avec près de 73% des voix (et un taux de participation de 58%), Kaïs Saïed était encore ce populaire spécialiste de droit constitutionnel à l’image d’incorruptible, avant de s’emparer des pleins pouvoirs à l’été 2021, promettant l’ordre face à l’instabilité politique.
Lire aussi : Déçus de la politique, les jeunes Tunisiens veulent massivement quitter le pays
Trois ans plus tard, la majorité des Tunisiens lui reprochent d’avoir consacré une énergie excessive à régler ses comptes avec ses opposants, en particulier le parti islamo-conservateur Ennahdha, formation dominante pendant la décennie de démocratie ayant suivi le renversement de Ben Ali.
Depuis son coup de force à l’été 2021, les ONG tunisiennes et étrangères ainsi que l’opposition dénoncent une «dérive autoritaire» du président, via un démantèlement des contre-pouvoirs et un étouffement de la société civile avec des arrestations de syndicalistes, militants, avocats et chroniqueurs politiques. Selon Human Rights Watch, «plus de 170 personnes sont actuellement détenues pour des motifs politiques ou pour avoir exercé leurs droits fondamentaux».
Vers un durcissement du pouvoir
Selon l’analyste Hatem Nafti, cette nouvelle victoire électorale peut annoncer un durcissement ultérieur du pouvoir à l’égard des voix critiques, car Kaïs Saïed pourra «faire valoir son sacre pour justifier la répression».
Prenant la parole dimanche soir dans son quartier général de campagne, le président réélu a affirmé, sur un ton martial, vouloir «poursuivre la Révolution de 2011» et bâtir «un pays nettoyé des corrompus et des complots». «La Tunisie restera libre et indépendante et n’acceptera jamais l’ingérence étrangère», a ajouté l’homme qui a pourtant allègrement vassalisé son pays au service de l’agenda de son voisin algérien.