Tebboune, le candidat du Système, rempile pour un second mandat dans une «présidentielle» boycottée par les Algériens

Un électeur algérien dans un bureau de vote vide lors de la présidentielle du 7 septembre 2024, dans la capitale Alger. AFP or licensors

Sans un soupçon de surprise, le président sortant, candidat attitré du «Système», a été désigné ce dimanche 8 septembre pour succéder à lui-même, à l’issue d’une véritable mascarade électorale, au cours de laquelle il a multiplié impossibles promesses et hallucinants chiffres. En face, les pseudo-candidats «rivaux» se sont limités à de discrets et stériles monologues, n’ayant pas le droit de citer ne serait-ce que le nom de leur adversaire, et encore moins de critiquer son bilan. Fait marquant, un boycott massif, supérieur à celui de 2019, même si le régime d’Alger a tout fait pour faire croire au contraire.

Le 08/09/2024 à 17h02

C’est la fin prévisible d’une longue et laborieuse mascarade. Candidat du régime à sa propre succession, Abdelmadjid Tebboune a de nouveau été désigné à la tête de l’État algérien, avec le score stalinien de 94,65% des voix, contre 3,17% pour Abdelaali Hassani, 57 ans, président du principal parti islamiste, le Mouvement de la société pour la paix (MSP, inféodé au régime), et 2,16% pour Youcef Aouchiche, 41 ans, chef depuis 2020 du Front des forces socialistes (FFS), parti d’opposition historique ancré en Kabylie, qui boycottait les élections depuis 1999. Sur un total de 5,630 millions de votes enregistrés, 5,320 millions ont voté pour Tebboune, annonce ce dimanche l’autorité électorale, Anie. Dans un système politique verrouillé depuis «l’indépendance» et tenu par les militaires, personne ne doutait que le président sortant, 78 ans, allait être reconduit dès le premier tour.

Dans la longue série des premières mondiales dont le régime d’Alger et son président nommé nous auront gratifiés tout au long du cirque électoral de ces dernières semaines, on retiendra un fait unique: la campagne électorale n’a enregistré aucun débat entre candidats! Les «rivaux» de Tebboune se sont limités à quelques (interminables) monologues, aussi creux que pompeux. Aucune critique n’a été permise quant au bilan de «l’adversaire» Tebboune, pourtant désastreux à tous points de vue. Pas faute de matière, mais surtout de liberté. Le président sortant (et reconduit), dont les moindres faits, gestes et annonces sont la risée des réseaux sociaux et des médias internationaux, n’a à aucun moment été ne serait-ce que cité nommément.

Sûr de l’emporter, avec des semblants de partis politiques et d’acteurs de la société civile qui ont unanimement appelé à sa reconduction au poste de chef de l’État, Abdelmadjid Tebboune a eu la partie facile, à considérer que partie il y avait. Car plutôt que de contester ou bousculer un tant soit peu le champion de la junte, les autres candidats ont, au mieux, servi de canal supplémentaire appelant les Algériens à voter massivement. D’ailleurs, après son vote, le candidat Hassani a appelé à se rendre aux urnes, car «un taux de participation élevé donne une plus grande crédibilité à ces élections». C’est donc l’enjeu: faire semblant. Aouchiche a aussi exhorté «les Algériens à participer en force». En pure perte, tant ces appels sont restés lettre morte. Résignés, sachant pertinemment que les dés étaient pipés et que le résultat du scrutin était réglé d’avance, les Algériens ont évidemment été très peu nombreux à se diriger vers les bureaux de vote. Les images des bureaux de vote totalement vides et de ces soldats, maladroitement déguisés en civil, mobilisés par le régime pour gonfler le taux de participation en les obligeant à voter, se passent de tout commentaire.

Un bien aimable retour d’ascenseur à celui qui doit tout à l’armée. En juin, le président Tebboune a signé un décret pour permettre aux militaires de diriger des administrations civiles. Un moyen de renforcer encore l’influence de la junte et de se tenir à l’abri.

Bidouillé dans un pays où aucune marge n’est laissée ne serait-ce qu’à un semblant de début de commencement d’une vie démocratique, le taux de participation annoncé dans la soirée d’hier samedi à 20 heures, et établi à 48,3 % à l’échelle nationale, est évidemment faux. À 17 heures, il était d’ailleurs de 26%. Allez comprendre comment, par magie, il a presque doublé en 3 heures. Et encore! Autre preuve du bidouillage du taux de participation à la présidentielle: le site officiel de «l’Autorité nationale indépendante des élections» (ANIE), présidée par Mohamed Charfi, a affiché à 17h (voir capture d’écran ci-dessous) un taux de participation de 16,46% avant de supprimer le post 30 minutes plus tard et d’annoncer un taux à 26,45%.

Le post de l'autorité électorale algérienne annonçant un taux de participation de 16,46% à 17h à la présidentielle du 7 septembre 2024.

Tout ce cirque n’échappe évidemment pas aux chancelleries étrangères et aux organismes internationaux qui mesurent l’étendue du désastre et de l’impopularité du régime.

Taux de participation: un régime tellement mauvais

Selon ce connaisseur des arcanes politiques algériens, et pour être très faible, il faut diviser au moins par trois le chiffre annoncé en définitive pour s’approcher légèrement de la vérité du terrain. Là, il faudra diviser par 5. Un simple calcul suffit. Dans un pays normal où les choses se passent normalement, le taux de participation correspond au nombre d’électeurs divisé par le nombre d’inscrits (ici, 24,5 millions au total). En l’espèce, le nombre d’électeurs a été de 5,6 millions. Divisé par le nombre des Inscrits, nous sommes donc sur un taux de participation tournant autour de 20%.

Comme Le360, le quotidien français Les Échos s’est livré au même petit calcul. Le résultat ne peut être qu’identique. «Sur un total de 5,63 millions de votes enregistrés, 5,32 millions ont voté pour Tebboune, a déclaré le président de l’autorité électorale, alors que le corps électoral algérien compte 24,5 millions de citoyens. Le taux de participation à cette élection est donc particulièrement faible tandis que l’ouverture des bureaux de vote a été prolongée de trois heures à certains endroits. A peine 20% des Algériens se seraient donc déplacés pour voter. Ce week-end, l’autorité électorale indiquait pourtant que le taux de participation atteignait 48%», lit-on. Mais c’est certainement (encore!) un complot franco-algébro-marocain.

Pour rappel, en décembre 2019, l’abstention avait battu des records, avec un taux de participation d’à peine 39,83% lors du premier scrutin que le régime d’Alger a offert à Tebboune avec 58% des suffrages, cela en plein Hirak anti-Système et alors que beaucoup de partis boycottaient le vote. Des chiffres là encore à prendre avec beaucoup (mais alors vraiment beaucoup) de pincettes.

Pour cette présidentielle, le régime voulait absolument un taux supérieur à celui de 2019. Paniqué, le régime a même prolongé d’une heure les horaires du vote pour trafiquer davantage le taux de participation. Mais rien n’y a fait. «Instruit par des expériences de fraudes massives, le peuple algérien a largement boudé les urnes ce samedi 7 septembre», commente Le Matin d’Algérie dans un article au titre évocateur: La parodie présidentielle. «A 10h, l’Anie annonçait un taux officiel de participation de 4,56%. A 13h, la même organisation révélait une participation à hauteur de 13%. Mystérieusement, ce taux est doublé à 17h. A peine croyable», résume la parution. Depuis, et jusqu’à l’annonce des résultats, c’est silence radio. Ou plutôt le naufrage.

Dans un communiqué rendu public samedi, avant même l’annonce des résultats de la mascarade présidentielle, Mohcine Belabbas, ancien président du parti du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), dénonçait un «désaveu cinglant et incontestable du régime en place». «Arrestations arbitraires, restrictions des libertés fondamentales, instrumentalisation de la justice, marginalisation des opposants: ces pratiques autoritaires n’ont fait qu’élargir le fossé entre un pouvoir rigide et une population désillusionnée. Cette stratégie coercitive, loin de stabiliser le pays, a accéléré la perte de légitimité des institutions et étouffé toute aspiration à un changement réel», lit-on.

Tout est de savoir de quelles annonces invraisemblables et de quelles fantastiques réalisations le nouvel-ancien président pourra encore se prévaloir. Les cinq prochaines années risquent de paraître bien longues à la population algérienne. Cinq nouvelles années où elle aura encore à endurer ad nauseam la sénilité tebbounesque, qui semble avoir dépassé le point de non-retour.

Par Tarik Qattab
Le 08/09/2024 à 17h02