L’événement valait le détour pour une seule raison: Abdelmadjid Tebboune y était. Autant dire que le spectacle était garanti. Et ce fut bien le cas, à plusieurs égards. C’est ainsi que le président de la République algérienne populaire et démocratique a inauguré, le lundi 24 juin, la Foire internationale d’Alger au palais des expositions des Pins-Maritimes (avouez que ça claque comme adresse!). L’événement s’est littéralement transformé en foire à enchères sur qui sortira le plus gros bobard.
À lui seul, le momentum cristallise toute la stratégie actuelle du chef supposé de l’État: redorer coûte que coûte son blason et, à la veille de la présentation officielle de sa candidature pour un deuxième mandat, se montrer sous son meilleur jour. Ceci, en «mouillant» non seulement tout son entourage, mais aussi toutes les forces (encore) vives du pays: les têtes de pont de la puissante armée, bien entendu, les membres du simulacre de gouvernement et le résigné tissu entrepreneurial. C’était un vrai moment de télévision: discours grandiloquents sur la grandeur de l’Algérie, visites des stands d’opérateurs locaux (les mêmes Condor et Cevital) et, bien sûr, grand détour par le stand, ou devrait-on dire le pavillon de l’Établissement central de construction (ECC), «l’usine» de l’armée algérienne.
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En prime, la présentation d’obscurs véhicules militaires, d’un fusil mitrailleur fièrement brandi par le chef de l’État et, clou du spectacle, d’un prototype d’hôpital militaire de campagne. Galvanisé par tant d’innovations «made in Algeria», Tebboune a demandé qu’il en soit fabriqué deux (ou… 3), dans 10 (ou… 15 jours). Pour Gaza. Ben oui, il fallait bien qu’il place la Palestine quelque part. Top chrono.
À l’arrivée, des chefs d’entreprise, des militaires et des ministres qui font leurs les ambitions invraisemblables du chef de l’État et qui, pire, leur donnent écho et crédibilité, présentations Powerpoint à l’appui. Quand ils ne trouvent pas matière à surenchérir, ils jurent que c’est comme si les instructions données au pied levé étaient déjà exécutées.
Le tout, sous le regard du vice-président de la République de Turquie, Cevdet Yilmaz, dont le pays est invité d’honneur. Les mauvaises langues diront que si le responsable turc a fait le déplacement, c’est surtout dans la perspective d’un accord commercial préférentiel pour booster les plus de 2,5 milliards de dollars d’exportations turques en produits divers et variés, les importations (plus de 3,5 milliards de dollars) se limitant aux hydrocarbures algériens. L’idée même est de porter les exportations turques à 10 milliards de dollars «d’ici 2030». Pour la grande joie d’Ankara. En turc, on dit: şerefe!
Ce qui aura surtout attiré l’attention, c’est la présentation faite séance tenante par le ministre algérien du Commerce et de la Promotion des exportations, Tayeb Zitouni, des dernières statistiques concernant l’économie algérienne «dans divers domaines et secteurs».
Et qu’apprenons-nous? Que sous Tebboune, l’Algérie a pulvérisé tous les records de performance économique. Il y a si peu, les tenants du régime d’Alger avaient la prudence de conjuguer toutes les réalisations au futur, histoire de bien se dérober des fiascos présents. Désormais, et c’est une tendance nouvelle, la mythomanie est conjuguée… au passé.
On ne saura dire comment cela nous a échappé, mais avec Tebboune, c’est déjà «check» en termes de performances économiques. L’avenir est derrière. Comme ça, du jour au lendemain. Exemples: les exportations hors hydrocarbures de l’Algérie sont passées de 3,8 milliards de dollars en 2020 à (déjà!) 7 milliards de dollars «cette année». Pour 2030, ce sera 29 milliards de dollars. Carrément!
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Les importations? Elles sont passées de 60 milliards de dollars en 2020 à 45 milliards de dollars en 2023. Priver tout un peuple des produits les plus élémentaires pour gratter à peine 15 milliards de dollars sur la balance commerciale, c’est cela le miracle économique algérien. Et puis, il y a les matériaux de construction, dont l’Algérie importait pour 1 milliard de dollars avant Tebboune et qu’elle exporte désormais pour une valeur de 1,3 milliard de dollars.
N’était-ce les défaillances techniques qui ont limité le défilement des slides lors de cette présentation, ou encore les miaulements d’un chat, à l’évidence agacé par tant d’invraisemblances, on en aurait appris davantage et des meilleures. Plus sérieusement, de qui se moque-t-on en Algérie? Si même les nonchalants félidés en arrivent à ne plus supporter une telle avalanche de mensonges et de chiffres ne correspondant à aucune forme de réalité…
Et c’est parti pour durer tout l’été, l’Autorité nationale indépendante électorale (ANIE) ayant fixé le dernier délai de dépôt des dossiers de candidature à la présidentielle prévue le 7 septembre au 18 juillet à minuit. Autant dire que Tebboune a encore de la marge pour enjoliver, à coups de données erronées et de bobards, un bilan unanimement jugé comme catastrophique.
Car que l’on ne s’y trompe pas, le seul et unique objectif derrière cette nouvelle «contre-khouta bilantielle» n’est autre que de préparer le terrain à la candidature du président sortant pour un deuxième mandat. Et ce ne sera pas une surprise.
Une croissance de 46% en 3 ans, ga3!
De la même manière que le pauvre ministre du Commerce et de la Promotion des exportations, sommé de déguiser un bilan chaotique en prouesse, ils sont en ce moment nombreux chez le voisin à sortir d’inexistantes success-stories de leur chapeau. Retenez, entre autres, 6,2 milliards de dollars d’exportations industrielles, 397 millions de dollars de produits agricoles et agro-industriels et 34,36 millions de dollars de produits de la pêche. Le tout, pour la seule année 2023.
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Dimanche dernier, même le chef de la diplomatie algérienne a dû changer de casquette pour se muer en économiste, se félicitant des résultats positifs «confirmés», a-t-il assuré, «par tous les indicateurs économiques nationaux: un taux de croissance de 4,2%, un PIB de 260 milliards de dollars américains, des réserves de change dépassant les 70 milliards de dollars américains et des exportations hors hydrocarbures qui devraient bientôt dépasser le seuil des 10 milliards de dollars américains». Pour préserver ces précieux acquis, «il nous appartient aujourd’hui de poursuivre le travail mené selon l’approche posée par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune», a-t-il enchaîné. On voit de loin le très humble chef de l’État rougir devant tant de louanges. Comme on suppliera au passage les dirigeants algériens de travailler leur niveau en langue arabe: les entendre, c’est subir un vrai massacre à la tronçonneuse.
Ainsi donc, et par la magie des statistiques, le PIB de l’Algérie, qui s’était établi à 187 milliards de dollars en 2022 (donnée du Fonds monétaire international), est passé à 225 milliards de dollars (annonce du président Tebboune le 5 août 2023 ), puis à 233 milliards de dollars (annonce d’Aïmene Benderrahmane, ancien Premier ministre) le 17 septembre 2023. Par cette même magie, la richesse créée par l’Algérie devrait atteindre 260 milliards de dollars en 2024, et même plus yallah, sans que l’économie algérienne ne connaisse le moindre changement structurel. Ainsi, le PIB algérien devrait croître de 46% en l’espace… de trois ans. Un triomphe. À cette allure, d’ici la fin d’un été qui s’annonce pénible et la tenue de l’élection présidentielle, le PIB aura certainement doublé ou triplé. Les BRICS ratés? Toz!
Cachez cette réalité qu’on ne saurait voir!
Nous parlons de la même Algérie où l’Oranie, Tiaret et bien d’autres régions (du Nord) n’ont même pas accès à l’eau potable. Il s’agit également du même pays où des projets aussi «structurants» que l’usine Fiat, à Oran, n’ont jamais produit un seul véhicule. Comme cela se passe dans la même «force de frappe» où le citoyen doit toujours faire la queue aux aurores pour un sachet de lait.
Ce réel, le régime d’Alger refuse de le voir et de le laisser voir, instaurant une vraie omerta. Faute de résoudre une crise qui touche toutes les sphères de l’appareil productif et de la société, Tebboune & Co inventent une réalité parallèle dont nous bassinent les fils d’actualité algériens, publics et privés, portant ainsi la voix de tout le microcosme agissant du pays. Comment expliquer, sinon, le titre de la très officielle agence APS, évoquant une «production abondante de blé dur» qui a «permis d’assurer 1,2 milliard de dollars au profit du Trésor»?
Ceci, alors que le pays figure parmi les plus grands importateurs de cette denrée dans le monde?
Ave Tebboune!
Et quid d’un ex-patron de la Sonatrach, Toufik Hakkar, qui jurait en 2023, la main sur le cœur, que l’Algérie sera le premier pays africain en matière de dessalement d’eau et que les impossibles 1,3 milliard de m3 par jour d’eau potable issus de cette technologie étaient «faisables» en Algérie? Tout simplement parce que c’est à la Sonatrach de veiller à la réalisation de l’irréalisable.
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La situation n’est guère plus reluisante dans le landerneau politique. Ayant fait le vide autour de lui sur une scène politique désormais déserte, Tebboune n’a désormais pour vis-à-vis que des hommes et partis qui chantent sa gloire. Fini les Saïd Sadi et autre Houcine Aït Ahmed. Place au mouvement El Bina de l’islamiste de service Abdelkader Bengrina, à ce qui reste d’un FLN dévitalisé, au Rassemblement national démocratique de Mustapha Yahi et au Front Al Moustakbal de Fateh Boutbig qui soutiennent fermement un deuxième mandat de Tebboune. Alors que ce dernier n’a même pas déposé sa candidature, Bengrina avait fait sensation en la présentant en son nom et «à l’insu de son plein gré». C’est dire!
S’il est une prouesse que le chef d’État algérien a véritablement réussie en Algérie, c’est celle d’embarquer tout le pays dans le flux continu de ses craques, créant une véritable hallucination collective.