La mise à mort du GPRA après les accords d’Évian

Jillali El Adnani.

Jillali El Adnani.

ChroniquePour la France, éviter des négociations directes avec le Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) constituait une manœuvre stratégique pour installer le clan militaire de Oujda, garantissant de contenir les tensions politiques internes par la force, et les intérêts économiques et militaires de la France dans la région du Sahara. Des documents français déclassifiés témoignent des tractations, qui ont suivi les accords d’Évian, pour remplacer définitivement le GPRA comme interlocuteur à Charles de Gaulle.

Le 29/12/2024 à 11h30

La double politique adoptée par le FLN –maintenir le GPRA pour préserver sa crédibilité tout en l’utilisant pour affaiblir les factions rivales– servait en réalité les intérêts français. Cette division interne facilitait la négociation des intérêts économiques et militaires de la France dans l’Algérie post-indépendance. Les négociations d’Évian illustrent alors non seulement la lutte acharnée pour l’indépendance, mais aussi les calculs géopolitiques et stratégiques d’une décolonisation sous tension.

Quel était donc le meilleur scénario qui favoriserait à la fois le clan de Oujda et les intérêts économiques, politiques et stratégiques de la France? Cette dernière redoutait comme un cauchemar l’hypothèse d’une Algérie tombant sous le contrôle du Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA). Une note interne exprime cette crainte: «L’inconvénient est que les transitions seraient mal assurées et qu’au lendemain de l’autodétermination ce serait probablement le GPRA. en corps qui viendrait s’installer en Algérie». (La Courneuve, SEEA, carton 125, dossier M. Chayot)

Cependant, le scénario privilégié fut exposé dans une note adressée au général de Gaulle le 19 juillet 1961. Une seconde note, intitulée «Projet d’instruction» et destinée aux interlocuteurs algériens, en particulier Saâd Dahlab, ministre des Affaires étrangères du GPRA, renforce cette approche. Les consignes et directives données aux négociateurs algériens ne relevaient ni d’un véritable esprit de négociation ni d’une souveraineté affirmée.

La France privilégiait un modèle inspiré du Vietnam. Ce parallèle révèle une logique étroite entre les directives françaises et la stratégie contre-révolutionnaire associée au clan de Oujda. Les discussions d’Évian visaient une indépendance négociée, tout en sapant la légitimité symbolique du GPRA et des structures armées telles que l’Armée de libération nationale (ALN) et le Comité national de la république algérienne (CNRA).

Grâce au dossier de M. Chayot, récemment déclassifié, il est désormais possible d’explorer les origines d’une contre-révolution soigneusement orchestrée. Le document révèle des négociateurs français dictant la conduite à suivre pour le FLN, notamment à travers la création d’un «exécutif provisoire» destiné à prendre le pouvoir. Une directive souligne cette volonté: «L’issue la moins mauvaise paraît donc être de ne pas renoncer, même si le GPRA demeure, à créer un exécutif provisoire. Nous devrions même nous efforcer de faire en sorte qu’il ait le plus de réalité possible, qu’il exerce en fait des pouvoirs importants, qu’il soit composé de personnalités ayant du crédit et de l’ascendant». (La Courneuve, SEEA, carton 125, dossier M. Chayot)

Cependant, Mohamed Harbi ne mentionne pas les connexions entre ces manœuvres et les stratégies françaises. Les directives transmises au général de Gaulle semblent avoir été appliquées avec rigueur par le clan de Oujda, qui utilisa l’exécutif provisoire comme levier de pouvoir. Une note datée du 19 juillet 1961, adressée à Saâd Dahlab, expose clairement cette approche: «Ces contacts (reprises des négociations du 20-28 juillet 1961) ne conduiront également aucun résultat positif, si le FLN persistait à faire dépendre la conclusion d’un accord de la satisfaction de ses revendications territoriales sur le Sahara…» (La Courneuve, SEEA, carton 125, dossier M. Chayot).

Ce plan permit de déclencher un processus de divergences au sein du GPRA et de l’ALN, débouchant sur des affrontements internes et la consolidation du pouvoir par le clan de Oujda. Ce dernier, dirigé par Boumediene et ben Bella, utilisa la légitimité du GPRA tout en préparant un coup d’État. D’ailleurs l’idée d’un «Conseil national» sera boycottée lors de la conférence secrète de Tripoli, en mai 1962, mettant à nu les ambitions de Boumediene. La conférence de Tlemcen, tenue le 17 juillet 1962, marqua un tournant, exposant publiquement ces divisions. M. Khider dénonça alors les dirigeants comme des «usurpateurs», révélant les tensions internes et les luttes de pouvoir.

L’arbre du GPRA, fragilisé par ces manœuvres, perdit son feuillage avec la démission de figures clés telles que Saâd Dahlab, et l’opposition de Mohammed Khider, Krim Belkacem, et d’autres dirigeants. Le clan de Oujda, fort de son soutien militaire et de ses connexions, s’empara d’Alger, réalisant ainsi une contre-révolution au service d’intérêts stratégiques français. Le scénario, élaboré dès 1961, s’acheva par la mise en place d’un pouvoir centralisé, laissant la légitimité révolutionnaire du GPRA aux marges de l’histoire. Ce plan visait à maintenir un contrôle indirect sur l’Algérie tout en divisant les factions rivales du FLN. En légitimant un exécutif provisoire aux pouvoirs renforcés, la France cherchait à écarter les éléments radicaux et à garantir des conditions favorables à ses intérêts économiques et stratégiques dans l’Algérie post-indépendance.

Cette feuille de route dressée par la France semble trouver une résonance favorable dans la direction du FLN. Selon Mohamed Harbi: «En Algérie, le GPRA passe pour l’incarnation de la révolution… cependant l’échec des négociations de Lugrin (20-28 juillet 1961) le met dans l’obligation de réunir le CNRA (Conseil national de la révolution algérienne). L’état-major (donc Boumediene) en prépare la session activement et envisage de sang-froid une épreuve de force avec le comité interministériel de la guerre (CIG). Son objectif est de faire adopter par le CNRA la création d’une direction du FLN distincte du GPRA et installée aux frontières.» (Harbi, «Le FLN, entre réalité et mirage», p. 344)

Il est à noter que M. Harbi ne souffle mot sur le lien entre les manœuvres françaises et la voie nouvelle adoptée par Boumediene et ses acolytes. Les directives envoyées dans ce sens au général Charles de Gaulle ont donc été suivies à la lettre par le clan de Oujda.

Le complot contre le GPRA reconduit par le FLN

Dans le «Projet d’instruction» signé lui aussi le 19 juillet 1961 et destiné à S. Dahlab se trouvent les éléments qui expliquent le fondement de la création de l’exécutif provisoire. Les réactions algériennes sur les frontières marocaines entre 1961 et 1963 apparaissent comme le résultat direct de cette «menace française». Ainsi l’Algérie a obtenu une reconnaissance de sa «souveraineté» sur le Sahara en cédant d’importants avantages à la France et surtout en hâtant la création de l’exécutif provisoire et la signature du cessez-le-feu. La note du projet d’instruction montre que les Algériens étaient hostiles à toute implication des pays riverains tels que le Maroc. La note devait transmettre d’une manière urgente à S. Dahlab la menace suivante:

«Ces contacts (reprises des négociations du 20-28 juillet 1961) ne conduiront également à aucun résultat positif, si le FLN persistait à faire dépendre la conclusion d’un accord de la satisfaction de ses revendications territoriales sur le Sahara, telles qu’il les a avancées. Des arrangements peuvent être envisagés. La France a proclamé que les problèmes de l’exploitation et de la répartition des produits du sous-sol devront être discutés entre tous les États riverains et, au premier chef, avec l’Algérie si celle-ci se constitue en État. Les structures politiques seront déterminées après consultation appropriée des populations et, en accord, également avec les riverains.» (Projet d’instructions destiné à S. Dahlab, le 19 juillet 1961, Dossier M. Chayot, La Courneuve, SEEA, carton 125).

Ainsi, la France a pu déclencher au sein des relations entre le GPRA et l’état-major/ALN un processus de divergences qui se soldera par des affrontements et un désaccord total. De Oujda en passant par Tlemcen, la voie était toute tracée pour Boumediene et ben Bella afin de réussir une contre-révolution et d’assurer leurs frontières grâce à des officiers majoritairement issus des déserteurs de l’armée française. Leur présence sur les frontières marocaines devrait soulever davantage de questions sur leurs accointances avec les armées française et espagnole entre 1957 et 1963.

La conférence de Tlemcen: acte fondateur d’un coup d’État

Le document ci-dessous couvre cet événement important qu’est la conférence de Tlemcen tenue le 17 juillet 1962 par M. Khider. Celui-ci a constaté le complot mené par Ahmed ben Bella, Ahmed Medeghri et Houari Boumediene. L’heure était grave et M. Khider a dénoncé que le clan d’Oujda s’est servi de la légitimité du GPRA pour commettre en son nom un véritable putsch.

Le document chiffré envoyé le 18 juillet 1962 au ministre d’État des Affaires algériennes rapporte en ces termes le défi lancé par M. Khider aux meneurs du clan d’Oujda:

«L’ex-ministre d’État s’est posé en adversaire déterminé des dirigeants actuels du GPRA qualifiés “d’usurpateurs” et dont les décisions sont “nulles et non avenues”… Au surplus, l’équipe de M. Ben Khedda, à en croire M. Khider, ne posséderait aucune autorité et n’aurait d’ailleurs pris aucune part à la convocation des conseils de Wilayas qui représentent “le pays réel”».

Un scénario minutieusement orchestré

La suite du scénario, très suivi par les services français, est à lire dans le document ci-dessous. Les vrais marionnettistes font leur apparition à Tlemcen lors de cette conférence tenue par M. Khider, en présence de Boumediene qui a pris la parole pour montrer à son clan le chemin à suivre pour s’emparer d’Alger et du pouvoir. Ce coup d’État est en réalité l’exécution du plan déjà tracé par les négociateurs français et ceux du FLN depuis le 19 juillet 1961.

La conférence de Tlemcen tenue le 17 juillet 1962 représente ainsi une nouvelle manière de célébrer un scénario et un complot bien ficelé.

L’arbre du GPRA a perdu sa substance avec la démission de Saâd Dahlab et la fin de l’opposition de M. Khider, M. Boudiaf, Krim Belkacem et des colonels Zbiri, Othman et Chaâbani. Le FLN et la France ont œuvré pour maintenir le GPRA aux frontières et à Tunis, créant un vide qui sera occupé par le clan de Oujda.

Y a-t-il ici quelques éléments d’explication d’une société politique acéphale où le masque du «leader charismatique» est aussitôt reconnu et dénoncé en tant qu’usurpateur? Cette usurpation du pouvoir est le principal marqueur de toutes les pathologies dont souffre le régime d’Alger depuis 62 ans.

Par Jillali El Adnani
Le 29/12/2024 à 11h30