GPS, Wifi, course-poursuite en direct: à Marseille, le trafic de drogue 3.0

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Photo d'illustration. . DR

Balise GPS, caméra Wifi... A Marseille, des trafiquants de cités, dont sept ont été condamnés mercredi 12 décembre, se sont mués en "professionnels" des nouvelles technologies, au service de leur guerre meurtrière pour le contrôle du trafic de drogue.

Le 12/12/2018 à 11h49

Lorsque Mohamed Mhoumadi, alias "Babouin", a surpris une silhouette se pencher sous son Audi pour y poser une "balise GPS", il aurait pu croire que la police le pistait. Cet homme, présenté par les enquêteurs comme l'un des caïds de la drogue dans les quartiers nord de Marseille, a compris qu'il avait plutôt une cible dans le dos.

Aux côtés d'un complice, également assassiné, Mhoumadi mourra le lendemain soir, criblé de balles et achevé à coups de crosse après une course-poursuite armée, dans les tunnels qui serpentent sous le Vieux-Port. Ses poursuivants l'avaient localisé grâce au GPS et à une application de géolocalisation, installée sur une simple tablette numérique.

Si ce double homicide du 9 novembre 2015 n'a jamais été élucidé, deux des comparses de Mhoumadi, présents à ses côtés lors de la course-poursuite, et cinq de ses ennemis, qui auraient aidé à ce règlement de comptes, ont été condamnés, mercredi 12 décembre, à des peines de deux à dix ans de prison pour "association de malfaiteurs" par le tribunal correctionnel de la ville.

Sorti de prison quelques mois plus tôt, Mohamed Mhoumadi était désigné par la "rumeur des cités" comme l'un des auteurs d'un triple assassinat près d'un point de "deal", cité des Lauriers. Il vivait depuis deux semaines dans la hantise d'une vengeance.

Ses ennemis n'ont pas mis longtemps à remonter jusqu'à la maison discrète où il s'était retiré, au fond d'une impasse d'Aubagne, à moins de 20 km de Marseille, se pensant plus à l'abri à l'extérieur de la cité phocéenne.

Cet épisode est l'un des "plus retentissants et spectaculaires" de la "guerre" entre deux bandes ennemies des quartiers Nord: celle des "Blacks" d'un côté, celle des "Gitans" de l'autre, à laquelle était affiliée "Babouin". Une rivalité pour le contrôle du trafic qui s'est muée en vendetta et aurait fait 29 morts en dix ans, selon l'accusation.

Ce "balisage" par GPS était devenu "un mode de fonctionnement tout à fait habituel" selon le parquet. Si bien que "Babouin" et ses complices, plutôt que de se débarrasser de la balise, ont tout d'abord tenté un guet-apens, laissant plusieurs heures la voiture garée comme appât, dans l'espoir, vain, de piéger des assaillants.

A l'audience, la procureure Sandrine Royant, face aux prévenus, de robustes jeunes gens en survêtement, a souligné que "c'est la première fois que l'on met à jour une équipe de logisticiens structurée, parfaitement organisée et même professionnalisée au service du crime".

Utilisateurs des nouvelles technologies, les trafiquants n'hésitent pas à se servir de téléphones cryptés (des Blackberry à l'époque des faits) ou à s'équiper de sacs faisant "cage de Faraday, pour se protéger des ondes et des détecteurs", a-t-elle encore relevé. Le matériel nécessaire à une surveillance vidéo - une mini-caméra avec boîtier Wifi dont les diodes ont été obturées par du scotch - sera également retrouvé chez une des personnes condamnées.

"Cette équipe a usé de techniques policières en personnes aguerries", résume même la magistrate : l'heure est révolue où les mouchards électroniques étaient l'apanage des seuls enquêteurs de la police judiciaire.

Les enquêteurs ne sont pas dépassés pour autant : le "bornage", minute par minute, des multiples téléphones utilisés par les malfaiteurs ont permis de les pister à leur tour, puis de les confondre. Un travail minutieux face à deux bandes qui ont grandi dans les mêmes cités, et qui semblent déterminées, selon le parquet, à "s'exterminer" mutuellement.

Plusieurs semaines après les faits, ce sera au tour de la belle-soeur de "Babouin" de retrouver une balise GPS sous sa voiture. Elle l'apporte alors à l'Évêché, siège de la police marseillaise, qui découvrira qu'au moins trois autres balises, communiquant par SMS et flux de données, ont été posées sur d'autres véhicules et sont suivies par la même équipe.

Le 12/12/2018 à 11h49