C’est un texte sans concession qui circule actuellement sur les réseaux sociaux, écrit d’une plume acerbe qui pose noir sur blanc quelques vérités dérangeantes. «La républiques des tontons »… le titre en soi est porteur de bien des références, à commencer par celle aux tontons macoutes d’Haïti, ces membres d’une milice, inspirée du modèle fasciste, utilisés par le régime au pouvoir pour terroriser, torturer et assassiner les opposants. A moins que l’auteur ne fasse référence aux célèbres (Les) Tontons flingueurs, film culte du cinéma français qui met en scène des truands délirants, parmi lesquels Lino Ventura à qui l’on doit la réplique toute aussi culte que le film et qui s’adapte bien à la situation dont il est ici question: «les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît».
Dans ce texte de trois pages, signé du nom de Sid-Ahmed Ghozali, mais qu’il dément avoir écrit selon un journal algérien, l’auteur présumé et ancien chef du gouvernement et PDG de Sonatrach, entreprise pétrolière et gazière algérienne, revient sur plusieurs affaires qui mettent à mal l’image d’un Etat de droit aux mains propres. Si l’identité de son auteur n’est pas avérée, il n’en demeure pas moins que les affaires citées dans ce texte sont bien réelles et que les interrogations soulevées sont assurément pertinentes et restent en attente de réponses concrètes.
L’avant et après Hirak
Dénoncer la corruption qui sévit à très haute échelle en Algérie, c’est précisément le but de ce texte qui débute avec une analyse d’un pays où sévit la corruption à haute échelle, à l’aube du Hirak. Pour asseoir le contexte et illustrer la chute des puissants de naguère, tombés pour corruption, le texte débute ainsi par un procès, celui d’Ahmed Ouyahia, ancien premier ministre condamné en 2021 à une peine de sept ans de prison ferme assortie d’une amende d’un million de dinars, qualifié de «maître-d’œuvre des campagnes mains propres» de l’Etat et dont on faisait «le présidentiable par excellence».
Cette chasse aux corrompus s’inscrit dans la lignée du Hirak, ce «mouvement qui a réussi à faire bouger les murs de la citadelle», selon l’auteur qui y voit un moment inédit pour les Algériens, au cours duquel «la peur a gagné des territoires» jusqu’alors «super protégés». Enfin, des «barons commencent à tomber», ceux-là même dont les noms que «les citoyens arrivent à peine à susurrer entre les dents» font désormais la Une des journaux.
Avec le Hirak, le temps était venu d’ouvrir les yeux. «Nous comprenions que ces fortunes se sont bâties sur notre propre argent», poursuit l’auteur, avec dans son viseur ces intouchables qui jouissaient de «salaires mirobolants, privilèges et facilités», à savoir notamment les industriels et capitaines d’industrie, et qui avaient «derrière eux tout un gouvernement ».
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Avec ces arrestations et ces procès en cascade, le lien entre le pouvoir et la corruption est établi, mais encore faut-il déterminer qui commande en vérité ce pays. Une question à laquelle répond au détour d’une phrase l’auteur, pour qui s’il y a trois ans à peine, il était difficile de «penser que certains du pouvoir, figures emblématiques, allaient tomber (…) tout le monde sait (que) les généraux et autres officiers supérieurs, dont la simple évocation de leurs noms donnait la chaire de poule, sont les vrais piliers du pouvoir». Car, ce sont eux qui «font et défont les cadres supérieurs, et les ministres et voire les présidents», rappelle ainsi l’auteur.
Dans les prisons algériennes, un Etat bis
La corruption est à ce point chevillée à la pratique du pouvoir qu’aujourd’hui, souligne l’auteur, «selon les statistiques publiées sur certains sites, nous nous payons le luxe d’embastiller deux premiers ministres, vingt-cinq ministres et vingt-cinq généraux et officiers supérieurs, nonobstant ceux qui sont en fuite, en exil ou tapis dans le silence attendant leur heure», sans oublier les grosses fortunes. C’est ainsi que – fait unique au monde il convient de le souligner– un véritable Etat dans l’Etat est aujourd’hui «embastillé», pour des faits de corruption qui cachent d’interminables règlements de compte. Derrière les barreaux, des dizaines de généraux et d’officiers supérieurs, plusieurs ministres, des hommes d’affaires et des industriels. Derrière les barreaux, un état-major, un gouvernement et les pontes de l’économie. Les dirigeants emprisonnés sont en embuscade et attendent le moment opportun pour céder leurs places à ceux qui tiennent les rênes du régime d’Alger.
«Nous ne sommes plus une République respectée, crainte, mais un no man’s land où règnent la gabegie, la prébende et les trafics de tout genre», se désole l’auteur.
Le pays de tous les trafics
A côté de la corruption, la drogue occupe elle aussi le haut du podium, au point que l’Algérie est ici qualifiée de «pays de narcotrafiquants». Il est cité en exemple l’affaire dite «El Bouchi», relative à la saisie d’une cargaison de 701 kg de cocaïne dans le port d’Oran au mois de mai 2018, importée par Kamel Chikhi, alias El Bouchi (le boucher).
«La cocaïne est arrivée dans une cargaison de viande destinée à l’armée par le biais d’un boucher, promoteur immobilier qui se jouait de hauts cadres», rappelle l’auteur en faisant une référence sous-entendue à Khaled Tebboune, le fils du président actuel. En effet, celui-ci avait été accusé (avant d’être acquitté) de «trafic d’influence», «abus de fonction», «corruption», et «perception d’indus cadeaux» dans ladite affaire, pour avoir profité du poste de ministre de l’Habitat qu’occupait son père au moment des faits, pour aider El Bouchi à obtenir un terrain en vue d’y construire un hôtel, à l’est d’Alger.
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Et l’auteur du texte de livrer à ses lecteurs une série d’interrogations, qui bien que pertinentes, n’ont toujours pas trouvé de réponses depuis l’éclatement de cette affaire.
«Ce boucher aurait donc organisé l’importation de sept quintaux de cocaïne. Il lui faut la trouver dans le pays exportateur (elle ne se vend pas au marché, mais il faut connaître le ou les fournisseurs, le réseau, le sécuriser et surtout payer en cash et pas en dinar)», souligne-t-il.
Ensuite, encore faut-il «transférer toute cette somme dont il est difficile de citer le montant (semble-t-il, la cocaïne coupée se vend sur le marché national à dix-huit mille dinars le petit gramme)», poursuit l’auteur.
«Par quel miracle cette somme a-t-elle été transférée à l’Etranger? Le saurons-nous un jour? Où en est l’instruction de cette affaire?», s’inquiète-t-on à juste titre face au silence absolu qui entoure cette affaire. «Sept cent kilos, sans coups férir disparaissent et personne n’en parle. Où est donc passée cette drogue? Qui est à la tête de ce réseau?» questionne-t-on, en émettant des doutes sur le fait que ledit boucher soit le maître d’œuvre de cette opération car, «il n’a ni le niveau, ni la force ou la puissance sans soutiens solides. La couleuvre est trop grosse».
Les secrets bien gardés de l’affaire Rafik Khalifa
Après la corruption, la drogue et l’or, l’auteur de ce texte qui ouvre la boîte de Pandore, s’attaque cette fois-ci à l’affaire Khalifa, du nom de son principal instigateur, l’homme d’affaires Rafik Khalifa, qui a donné lieu à l’un des plus gros scandales de l’histoire de l’Algérie. Pour rappel, ce golden boy, pharmacien de métier, s’est constitué très (trop) rapidement, en seulement dix ans, à la fin des années 1990, un petit empire économique constitué d’une banque et d’une compagnie aérienne. Rien que ça.
Après la faillite de son groupe en 2003, il est condamné par la justice algérienne en 2007 par contumace à la prison à vie pour détournement de fonds et usage de faux, puis une fois extradé en Algérie par la Grande-Bretagne où il s’était réfugié, il est condamné en juin 2015 à dix-huit ans de prison. Une peine confirmée en appel en juin 2022 par le tribunal de Blida.
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Mais pour l’auteur, ce procès de Blida n’est qu’une mascarade visant à «faire croire que le dossier Khalifa est clos», alors même que «le procès Khalifa Bank n’a jamais eu lieu».
«Où en est la liquidation menée par ce liquidateur et commissaire aux comptes d’une très très grosse entreprise?», interroge-t-il au sujet de la faillite de la Khalifa Bank qui, pour rappel, aurait causé un préjudice de près de cinq milliards de dollars à l’Etat et aux épargnants.
Quid des procès Sonatrach?
Le long pamphlet va ensuite s’attaquer à un autre sujet de taille, les procès Sonatrach II et Sonatrach III, en demandant, là aussi, «où en sont-ils?», au même titre que le dossier BRC, lequel est «aussi, sinon plus important que le dossier Khalifa?».
Pour rappel, l’affaire Sonatrach, qui a éclaté en 2010, est une vaste affaire de corruption qui a éclaboussé l’ensemble des hauts dirigeants du groupe pétrolier public, et qui a impliqué notamment l’ancien ministre algérien de l’énergie Chakib Khelil. Cette affaire, qui regroupe un ensemble indéterminé de dossiers, fait toujours l’objet d’une enquête. BRC représente ainsi un dossier parmi tant d’autres dans cette affaire et concerne en l’occurrence 13 marchés de gré à gré obtenus par BRC (Brown and Root Condor), filiale de Sonatrach créée avec la compagnie américaine de services pétroliers Halliburton.
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Quant aux procès qui vont de report en report, et dont fait mention le texte, leur nombre atteste de l’ampleur de cette saga politico-financière où il est question de pots-de-vin perçus par des personnalités pour permettre à des groupes étrangers de décrocher des contrats de plusieurs milliards de dollars. Ainsi, si le procès Sonatrach I s’est attaché à la poursuite de dix-neuf personnes et quatre entreprises étrangères pour corruption d’une part et obtention frauduleuse de marchés publics au détriment de Sonatrach d’autre part, les procès de Sonatrach II et Sonatrach III, toujours en cours d’instruction, en sont les prolongements.
Et l’auteur de cette missive de conclure, dépité, «que dire, sinon, que l’Algérie a raté l’occasion de s’ériger en puissance économique régionale. (…) Nous avons beau faire, ces dégâts sont irréparables et ces retards ne seront jamais rattrapés, à moins d’un miracle ou qu’ils partent tous et cèdent la place aux jeunes. La gérontocratie a fait son temps. Elle est périmée partout, sauf chez nous».