Algérie: la soif pousse les Algériens à manifester le jour même de l’Aïd El-Adha

Les habitants de la wilaya de Tiaret en Algérie manifestent le jour de l’Aïd Al-Adha pour dénoncer la pénurie d'eau qui s'éternise depuis des mois.

Les habitants de la wilaya de Tiaret en Algérie ont passé l’Aïd Al-Adha dans la rue. Ils ont sacrifié les joies de cette importante fête religieuse pour protester vivement contre l’inertie du régime politico-militaire qui leur a menti à travers des promesses non tenues de résoudre la pénurie d’eau potable dont souffre leur région depuis plusieurs mois. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, ils ont été aussi victimes de coupures répétitives de l’électricité, dans un pays producteur de gaz et de pétrole.

Le 18/06/2024 à 16h32

Une dépêche de l’Agence France Presse (AFP) a rapporté, hier lundi, que des manifestations populaires ont éclaté le premier et deuxième jour de l’Aïd Al-Adha dans plusieurs régions de la province de Tiaret, à l’ouest de l’Algérie, en raison de l’incapacité des autorités à résoudre la pénurie d’eau potable qui perdure depuis plusieurs mois.

Ni les instructions feintes du président algérien Abdelmadjid Tebboune, qui a exigé le 2 juin courant d’alimenter, au plus tard en 48 heures, la région de Tiaret en eau potable courante, ni les promesses de son gouvernement, qui s’est donné deux semaines au maximum pour résoudre cette grave pénurie d’eau avant l’Aïd, n’ont été tenues.

Pire, c’est le black-out total dans les médias algériens sur le spectre de la crise hydrique qui frappe de plein fouet ou menace plusieurs régions du pays. Ces médias aux ordres préfèrent regarder ailleurs en se livrant à la propagande pour se consacrer uniquement sur ce qu’ils appellent les «réalisations» (inexistantes) du régime politico-militaire local, alors que de nombreux pages et comptes sur les réseaux sociaux, relayés par la presse internationale, ont largement diffusé les images de la reprise des «manifestations de protestations, émaillées de fermeture des principaux axes routiers» menant à Tiaret (280 km au sud-ouest d’Alger). Dimanche et lundi derniers, soit le premier et deuxième jour de l’Aïd, la circulation a été bloquée dans cette région par les manifestants en colère.

Certaines sources ont notamment évoqué le blocage total de la route nationale n°14 reliant la ville de Frenda à Tiaret et son centre-ville. Des images montrent clairement de gros blocs de pierre érigés en barricades en pleine route pour empêcher le passage des voitures.

Les habitants du quartier dit des «220 logements» ont également fermé la route reliant Tiaret à la commune d’Aïn Bouchekif, située à environ 18 km.

Sur la page officielle de la Société algérienne des eaux, chargée de distribuer l’eau potable à Tiaret et dans d’autres wilayas, un internaute a réagi à travers un commentaire où on peut lire: «Vos promesses aux habitants de la wilaya de Tiaret ont été un mirage, surtout durant le premier jour de l’Aïd, où plusieurs zones sont toujours sans la moindre goutte d’eau??»

À El-Rahouia, sise à environ 40 kilomètres de Tiaret, des internautes ont publié, hier lundi, une vidéo d’un rassemblement de citoyens. Il s’agirait de manifestants qui «ont empêché le gouverneur de quitter le siège de cette commune avant d’avoir écouté leurs doléances» et pris des engagements concrets concernant des solutions à la pénurie d’eau potable.

Le gouverneur a constaté, à travers toute la région de Tiaret, l’ampleur de nouvelles manifestations nocturnes lors du premier jour de l’Aïd Al-Adha, au cours desquelles des pneus de voitures ont été brûlés sur la voie publique.

Depuis mai dernier, la wilaya semi-désertique de Tiaret est confrontée à une grave crise d’approvisionnement en eau potable, suite à l’assèchement total du barrage de Bakhda, unique source d’approvisionnement en eau de toute la région, provoquant le déclenchement de violentes manifestations.

La crise a poussé Abdelmadjid Tebboune, au moment où il se prépare à l’élection présidentielle anticipée de septembre prochain, à présider, dans la panique la plus totale, un conseil des ministres, le 2 juin courant, au cours duquel il a ordonné «aux ministres de l’Intérieur et de l’Hydraulique de trouver une solution urgente et exceptionnelle», en vue d’approvisionner Tiaret en eau dans un délai de 48 heures au plus tard.

Le lendemain, les ministres Ibrahim Merad (Intérieur) et Taha Darbal (Hydraulique) se sont rendus à Tiaret et ont présenté un plan pour résoudre le problème de l’eau, non pas en 48 heures comme l’a exigé faussement Tebboune, mais «avant l’Aïd Al-Adha».

Vendredi dernier, le ministre de l’Hydraulique est retourné à Tiaret pour mettre en service un projet d’approvisionnement de la ville de Tiaret à partir… d’un puits foré et raccordé au réseau d’adduction d’eau. Maigre consolation, puisque la pénurie d’eau persiste toujours au lendemain de la date fatidique de l’Aïd.

La portée de ce puits foré à la va-vite, un geste insignifiant en somme, a été amplifiée par les autorités algériennes et leurs médias, laissant entendre que la crise de l’eau est résolue à Tiaret, avant d’être démentis par les mouvements de colère des habitants de cette wilaya, qui risquent d’être suivis par plusieurs villes à travers le pays.

Depuis l’élection du président Abdelmadjid Tebboune en décembre 2019, les manifestations de rues, aussi bien sociales que politiques, ont certes diminué sous l’effet de la répression implacable menée par les généraux, mais la crise de l’eau à Tiaret a ravivé les craintes d’un retour de grosses manifestations contre le pouvoir, qui veut maintenir le calme avant la présidentielle du 7 septembre 2024. Ce regain de tensions politico-sociales a perturbé l’agenda de Tebboune, qui n’a toujours pas reçu le feu vert de l’armée pour annoncer officiellement sa candidature à un second mandat.

Par Mohammed Ould Boah
Le 18/06/2024 à 16h32