Les patrons des médias algériens, bien que proches du pouvoir dans leur ensemble, ont saisi l’occasion d’une rencontre avec le président Abdelmadjid Tebboune pour lui faire part de leurs doléances. Qu’il s’agisse des demandes de répartition équitable du gâteau publicitaire étatique ou d’une plus grande représentation de l’APS et des télévisions publiques par des correspondants algériens à l’étranger, le président algérien ne s’est pas aventuré à prendre des engagements, se limitant à des promesses et des conseils. Une façon de faire comprendre aux journalistes algériens que ce pouvoir dépend aussi et surtout du bon vouloir de la junte militaire locale.
D’ailleurs, en guise de conseil aux journalistes et de clin d’œil à l’homme fort du pays, le général Saïd Chengriha, l’armée algérienne a été citée par Tebboune en modèle à suivre si la presse veut devenir une «institution nationale puissante». À aucun moment dans cette rencontre, les vrais problèmes de l’Algérie, comme la cherté et la rareté des produits de première nécessité, la liberté d’expression ou les centaines de militants politiques emprisonnés n’ont été abordés.
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S’ensuivront à la pelle les gros chiffres fantaisistes sur la corruption et l’économie algériennes. Selon Tebboune, le dernier rapport conjoint des ministères de la Justice et des Finances fait apparaître que la valeur des biens et fonds détournés par les oligarques du régime précédent a atteint 22 milliards de dollars. Et que cette somme a été récupérée. Comment? Où? Mystère et boule de gomme. Allez savoir pourquoi il n’a pas donné ce chiffre en monnaie locale pour faire plus monumental encore. Surtout qu’il s’est également référé à la monnaie unique européenne pour estimer à 750 millions d’euros une usine saisie par l’État à Oran.
Il a reconnu que malgré la coopération de certains pays européens qui se sont engagés à restituer à l’Algérie les fonds déposés chez eux par les oligarques, les 22 milliards de dollars ont été récupérés en Algérie même. Et que ce n’est que la partie visible de l’iceberg.
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En guise d’illustration de ce qu’il appelle le développement fulgurant qu’a connu l’Algérie nouvelle, il a annoncé que, depuis octobre dernier, plus de 1.300 institutions étatiques ont été mises sur pied, avec à la clé 52.000 nouveaux emplois créés. Il a à ce niveau chanté un hymne à la jeunesse, dont il dit qu’elle est «la richesse politique du pays, car la moins corrompue».
Énigmatique, Tebboune a lâché une phrase qui sera diversement interprétée. «L’Algérie est trop grande, c’est nous qui sommes trop petits. C’est à nous d’être grands pour être au niveau de l’Algérie», a-t-il martelé en français. Ce qui est certain, c’est que l’Algérie vient d’être traitée comme un nain par ses pairs de la Ligue arabe sur le dossier syrien.
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Toujours à propos du monde arabe, Tebboune a affirmé sans sourciller que «1/3 des richesses mondiales se trouvent dans le monde arabe». D’où est-ce qu’il a sorti ce chiffre complètement fantaisiste? Nul ne saura le dire. Mais on aura compris que les propos de ce président ne volent pas plus haut que le café du commerce.
Caressant la France dans le sens du poil, il est revenu sur le dossier dit de la «mémoire» qui mine les relations franco-algériennes. Il a ainsi mis beaucoup d’eau dans son vin en vue de ne pas hypothéquer sa prochaine visite à Paris, déjà reportée une première fois, en déclarant que la France et l’Algérie «sont passées d’une logique de confrontation à celle d’un accord sur un examen apaisé de ce qui s’est passé durant la période coloniale. Un travail confié à une commission conjointe composée d’historiens issus des deux pays», pour faire la lumière sur les 5,6 millions d’Algériens, selon les chiffres -une fois encore fantaisistes- de Tebboune, qui auraient été massacrés par la France de 1830 à 1962.
Le président algérien a également réitéré son récent chiffre de 7 milliards de dollars, qu’il estime être la valeur des exportations algériennes hors hydrocarbures, tout en rappelant que depuis l’indépendance jusqu’à l’avènement de l’Algérie nouvelle, ce chiffre n’a jamais dépassé 1,8 milliard de dollars. Il a aussi précisé que l’objectif de son exécutif est d’atteindre 13 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures à court terme. Ce qui est impossible pour ce pays qui ne produit rien, mais importe tous ses besoins.
Qu’exporte l’Algérie en dehors du pétrole et du gaz pour prétendre à ce chiffre, et qui sont ses clients? Selon Tebboune, les exportations de son pays sont le fer, l’acier et le ciment blanc, qu’il dit convoyés «vers l’Europe, l’Amérique, l’Afrique et les pays du Maghreb». Ce ciment n’est exporté que parce qu’il est produit avec une énergie très bon marché: le gaz naturel. Autant dire que c’est du gaz sous forme de ciment que l’Algérie exporte. Le jour où la manne du gaz viendrait à tarir, les fabriques de ciment fermeront.
Le Maroc n’a pas été nommément cité par Tebboune dans son bavardage, mais il y a fait référence. «Pour ouvrir une ligne maritime avec Dakar, il faut toute une bataille. La route Tindouf-Zouerate, une autre bataille», s’est exclamé Tebboune. Et cela, ajoute-t-il, au grand bonheur de «nos ennemis». Une référence au Maroc, ce concurrent qui donne du fil à retordre à l’Algérie en Afrique et partout ailleurs? Certainement, surtout que le dernier mot est revenu à un journaliste sportif, Kemal Mehdi de Radio Al Bahja pour ne pas le nommer, qui a fait sourire Tebboune en qualifiant le Maroc de l’ennemi qui s’est «émerveillé lui aussi face aux infrastructures et réussites des compétitions internationales sportives en Algérie».
L’auditoire très complaisant du président algérien a été visiblement admiratif devant l’érudition de Tebboune qui a même cité Confucius. À quelle occasion? En lui attribuant -de façon farfelue- un proverbe chinois que le président algérien déforme au demeurant. Tebboune affirme «comme a dit Confucius, il n’y a pas pire sot que celui qui regarde le doigt quand vous lui montrez la lune». Confucius n’a jamais rien dit de tel et la citation que lui attribue faussement Tebboune est une déformation de ce proverbe chinois très connu: «quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt».
Manifestement, il ne faut pas chercher de sages parmi les responsables algériens qui sont très nombreux à ne pas regarder plus loin que le bout de leur nez.