Dans les coulisses de la chaîne française d’informations appartenant au groupe Bolloré, la stupeur, l’incompréhension et la consternation règnent.
Hier, dimanche 2 octobre 2022, dans la salle d’attente où patientait Ferhat Mehenni, dont l’intervention lors du journal télévisé venait d’être annoncée par le présentateur, en direct, à 20h25, coup de théâtre.
Un responsable de la chaîne a déboulé en trombe et a annoncé au président du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) que son intervention, censée durer vingt minutes, venait d’être annulée.
Ivan Roufiol, le journaliste chargé de mener l’interview, a appris la nouvelle au même moment et n’en revenait pas. Une vidéo filmée au moment même de cette annonce en coulisses témoigne de cette scène surréaliste et apporte des éléments de réponse qui permettent de mieux comprendre une telle décision.
«Qu’est-ce qu'il s’est passé?», est-il demandé à Ivan Roufiol. «Je ne sais pas, on a le droit de ne rien dire», rétorque-t-il, visiblement embarrassé. «C’est l’Elysée… L’Algérie a dû intervenir», répond calmement Ferhat Mehenni.
«Je t’ai annoncé depuis une semaine et la direction est au courant depuis une semaine», se justifie Ivan Roufiol.
«C’est vraiment invraisemblable, c’est la première fois que ça arrive», poursuit Ivan Roufiol à l’attention de Ferhat Mehenni, en glissant au passage penser que «(son) explication est la bonne, il y a dû y avoir une pression d’Alger».
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Une hypothèse confirmée par des médias, qui avancent de sources informées que Yannick Bolloré, patron du groupe du même nom, qui détient la chaîne Cnews, aurait déprogrammé cette interview en personne, à l'injonction d’Emmanuel Macron. Le président français aurait lui-même reçu un appel du président algérien Abdelmadjid Tebboune le menaçant d’annuler la visite à Alger d’Elisabeth Borne, Première ministre française, prévue les 9 et 10 octobre prochains et ayant pour objet de concrétiser le partenariat franco-algérien.
Au programme de cette visite organisée quelques semaines après celle du président français en Algérie, il est en effet question d’approfondir la coopération bilatérale dans les domaines d’intérêt commun, à savoir une augmentation des livraisons de gaz algérien en direction de la France, en pleine crise énergétique alimentée par la guerre en Ukraine.
Ferhat Mehenni, poète et chanteur, leader indépendantiste kabyle âgé de 70 ans, réfugié en France depuis vingt ans, confirme ainsi bien malgré lui son statut de bête noire de la junte au pouvoir en Algérie. De son côté, Abdelmadjid Tebboune a tenu parole, lui qui avait lancé le 18 août dans un discours télévisé ces menaces à peine voilées: «nous utiliserons tous les moyens pour qu’il paye cher».
Après avoir fait fi de la liberté d’expression qu’elle ne cesse de brandir en étendard sur son sol et ailleurs, jusqu’à quel point la France sera-t-elle prête à faire des entorses à ses valeurs démocratiques pour contenter l’Algérie?
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Car, à simple titre de rappel, cette censure d’un média français n’est pas une première depuis la visite d’Emmanuel Macron en Algérie du 25 au 27 août.
Le journal Le Monde en a fait les frais en retirant de ses colonnes (et de son site) le 2 septembre dernier, une tribune signée du chercheur Paul-Max Morin sous le titre suivant: «Réduire la colonisation en Algérie à une ‘histoire d’amour’ parachève la droitisation de Macron sur la question mémorielle».
La raison de cette censure, il faut la chercher du côté de l’Elysée, qui «était furax», explique à la presse l’auteur de la tribune.
Après avoir fait disparaître le texte de ses pages, la publication avait même été jusqu’à publier un message d’excuses à ses lecteurs «ainsi qu’au président de la République».
Alors jusqu’où ira l’Elysée au nom de sa belle histoire d’amour avec l’Algérie? Serait-elle prête à livrer à la junte algérienne Ferhat Mehenni, lui qui est sous le coup d’un mandat d’arrêt international émis par le procureur général près la cour d’Alger le 26 août, pour avoir prétendument commandité les incendies qui ont ravagé la Kabylie à l’été 2021, et fait 103 morts? Il y a lieu de s’en inquiéter…
Mais il y a aussi le «deux poids, deux mesures» des autorités françaises dans leur comportement avec les indépendantistes. Alors que la chaîne de télévision d’information en continu France 24 offre une tribune en toutes saisons aux séparatistes du Polisario, au nom du respect de la liberté d’expression, les autorités françaises censurent, de façon décomplexée, au plus haut niveau de l’Etat quand ils reçoivent les jérémiades des vieillards qui dirigent l’Algérie. Une duplicité d’autant plus incompréhensible que France 24 est une chaîne du service audiovisuel public français, dont le gros du budget est assuré par le Quai d'Orsay. Contrairement à Cnews, une chaîne aux capitaux privés.