En 2009, dans un secteur largement dominé par des marques internationales, peu pariaient sur la capacité d’un acteur local à s’imposer durablement dans les linéaires de l’hygiène et de l’entretien. Anwar Radi, ingénieur de formation passé par l’industrie lourde et la chimie, en décide autrement. Il fonde AMA Détergent, le plus grand complexe industriel national destiné à la production des produits d’hygiène, doté d’une ambition claire de créer des marques marocaines solides, ancrées dans les usages locaux, tout en maîtrisant l’ensemble de la chaîne de valeur. «Nous avons toujours cru que les talents marocains étaient capables de faire jeu égal avec les meilleurs. Il faut leur faire confiance, leur donner les moyens, et surtout ne jamais faire de compromis sur l’ambition», explique-t-il.
À une époque où le recours à l’importation restait le réflexe de nombreuses enseignes, Radi fait un choix singulier de produire localement, formuler en interne et miser sur des produits adaptés aux réalités du quotidien des foyers marocains. Son objectif n’est pas de dupliquer les standards existants, mais de construire un modèle alternatif, industrialisé, intégré, porté par une culture d’entreprise forte et une lecture fine du marché domestique.
Une marque qui s’impose par la cohérence
Dès les premières années, AMA Détergent élargit sa gamme et gagne du terrain. La création de MIO s’impose comme un tournant. Positionnée sur les produits de lavage, la marque séduit par son adéquation avec les attentes des consommateurs en termes d’efficacité, simplicité, accessibilité. En 2025, MIO est élue Produit de l’Année au Maroc dans trois catégories différentes et confirmant sa montée en puissance, à savoir lessive liquide pour machines automatiques, poudre pour lavage automatique, et poudre pour lavage semi-automatique et à la main.
Entre-temps, le groupe a franchi une nouvelle étape dans son développement. Désormais réuni sous la holding ENOSIS, il s’est structuré autour de plusieurs filiales industrielles -dont AMA Détergent, AMA Papillon, Sulfonation et FMCG- tout en se dotant de son propre dispositif logistique. Cette organisation intégrée ne résulte pas d’une adaptation conjoncturelle, mais reflète une conviction stratégique forte. M. Radi le résume ainsi: «Le Made in Morocco, quand il est porté avec excellence, peut rayonner bien au-delà de nos frontières». Cette intégration permet au groupe de répondre rapidement aux évolutions de la demande, tout en sécurisant ses processus de production et de distribution. Elle favorise aussi une innovation pensée à partir des usages. En 2025, MIO lance le premier liquide vaisselle au vinaigre blanc fabriqué au Maroc. Le succès de ce produit, inspiré des pratiques ménagères traditionnelles, confirme la pertinence d’une innovation «située»: ni high-tech, ni décorative, mais conçue pour les réalités locales.
Une culture d’entreprise en soutien
Au fil des ans, ENOSIS ne se contente pas de grandir. Il installe un modèle: celui d’une entreprise fondée sur une logique de responsabilité partagée, où chaque salarié est porteur d’une marque ou d’un projet. La devise interne -«Makaynch maymkench»- traduit cette volonté de dépassement collectif, loin de la verticalité classique des structures industrielles. Là encore, Radi insiste sur l’importance d’un ancrage humain et local. «Nous avons fait le pari de la compétence nationale. Il y a, au Maroc, une génération prête à relever les défis industriels si on lui fait confiance et qu’on l’accompagne avec rigueur».
Cette culture d’entreprise permet au groupe de fidéliser ses équipes, de faire émerger des profils polyvalents, et d’adapter ses processus à mesure qu’il évolue. Le groupe attire une nouvelle génération de cadres formés localement, et les implique dans des fonctions à haute responsabilité.
Un projet porté par une conviction
Aujourd’hui, ENOSIS emploie plus de 1 500 collaborateurs, distribue ses marques dans tout le pays, et continue son déploiement progressif en Afrique de l’Ouest. Mais Radi garde la même ligne de conduite, «ce que nous construisons n’est pas un effet d’opportunité, c’est un projet industriel à long terme, fondé sur la cohérence, la proximité terrain et l’exigence dans l’exécution». Dans un écosystème encore marqué par l’exposition aux grandes multinationales, l’expérience ENOSIS témoigne qu’un autre modèle est possible, celui où la fabrication locale ne se limite pas à l’assemblage ou au conditionnement, mais devient un levier stratégique. Pour Anwar Radi, cette réussite doit aussi servir de référence à d’autres entrepreneurs désireux de bâtir sur le sol marocain.