Retard des pluies, taux de remplissage des barrages… Quel avenir pour la campagne agricole 2022 au Maroc?

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Face au retard des précipitations, le spectre de la soif pointe dans certaines régions du pays et l'inquiétude grandit quant à l’avenir de la campagne agricole. Dans cette interview, le climatologue et expert en développement durable, Mohammed Benabbou, analyse la situation et livre ses recommandations pour rationaliser l’usage de l'eau.

Le 08/02/2022 à 08h17

Le360 - Nous sommes au mois de février 2022 et les pluies ne sont toujours pas là. Qu'est-ce qui a causé ce retard cette année? Mohammed Benabbou - Le retard des précipitations cette année est dû principalement à la présence continue de l’anticyclone des Açores sur la côte atlantique. Ce cyclone se dresse comme une barrière qui repousse les perturbations et les empêche de s'installer sur notre pays. Pendant l'hiver, cet anticyclone migre normalement vers le Sud ou le Sud-Ouest, laissant place à l'entrée de masses d'air froid et de turbulences polaires dans l'atmosphère alors qu’en été, il remonte vers les largeurs tempérées du Nord, le pays est donc envahi par des masses d'air tropical chaud et sec. Malheureusement, la présence et la stabilité de cette cellule anticyclonique sur l'atmosphère du Maroc à ce jour empêche l'entrée des perturbations pluvieuses.

Face à ce retard des précipitations, la campagne agricole est-elle compromise? Avons-nous de la visibilité pour les prochains jours? La visibilité dans ce domaine dépend de plusieurs facteurs et données purement scientifiques, mais la majorité des rapports confirment le retard des précipitations au Maroc et tirent la sonnette d’alarme quant à l’avenir de la campagne agricole en cours, ce qui confirme les craintes des agriculteurs en premier rang et de l’ensemble de l’écosystème national, car si les précipitations n’arrivent pas dans les quelques jours qui viennent, toutes les prévisions économiques seront à revoir.

Il faut savoir que les trois premières semaines du mois de janvier 2022 ont accusé un déficit hydrique de plus de 80% par rapport à l'année dernière et de 60% comparativement à une saison normale, ce qui devrait avoir un grand impact sur la saison agricole de cette année.

Cependant, la problématique de la disponibilité de l'eau potable ne date pas de cette année. Malgré une très bonne campagne agricole l’année dernière, le rapport sur le nouveau modèle de développement (NMD) a averti quant à la précarité de la sécurité hydrique du pays, reflétant ainsi la forte vulnérabilité du Maroc au changement climatique face à des usages de l’eau qui n’intègrent pas sa rareté. A cause de la pression que subissent la biodiversité et les ressources naturelles, notamment l’eau, sous l’effet du changement climatique, le Maroc pourrait souffrir de pénurie d'ici 2030.

Comment en est-on arrivé là?En plus de l’impact du changement climatique sur les précipitations, le rapport du NMD souligne également l’effet de politiques publiques et de stratégies sectorielles qui ne tiennent pas suffisamment compte des impératifs de durabilité des ressources et des équilibres environnementaux, suggérant dans ce sens de réorganiser le secteur, d'améliorer la transparence sur les coûts des ressources en eau à chaque étape de leur mobilisation, et de fixer un tarif qui reflète la valeur réelle de cette ressource et pousse donc à rationaliser son utilisation.

Il est également question de mettre en place une agence de gestion de l'eau et de mobiliser les ressources non conventionnelles à travers notamment le dessalement de l’eau, la récupération des eaux de pluie, la réutilisation des eaux usées et la préservation des ressources souterraines. Tous ces efforts réunis devront nous permettre de confronter le spectre de la sécheresse qui pèse à nouveau sur la campagne agricole.

Le taux de remplissage des barrages n'est actuellement que de 34%, contre 46,7% au cours de l'année précédente. Ce scénario de retraite est principalement dû à l'accumulation des années de sécheresse et de manque de précipitations pluviométriques, qui s'est traduit par un déficit dans divers bassins hydrographiques, notamment les bassins d’Oum Errabiâ, de Moulouya et de Tensift.

La situation actuelle des barrages est très alarmante, le niveau des réserves en eau très critique. Le barrage Al Massira, deuxième plus grand barrage du Royaume affiche un taux de remplissage de 7,6% seulement, celui de Bin El Ouidane, troisième barrage du pays, est à 14.5%, le barrage Abdelmoumen, l'un des plus importants de la région Souss-Massa affiche quant à lui un taux de remplissage de 4,3%.

Cet important déficit hydrique a fait passer le Maroc d'une situation de stress hydrique à une situation de pénurie d’eau. Si le stock d’eau disponible dans les barrages à ce jour permettra encore de sécuriser les besoins en eau potable de toutes les grandes villes durant un certain temps, les villes situées au large des bassins de la Moulouya, Oum Errabiâ et Tensift devraient rencontrer beaucoup de difficultés dans les prochains jours si la situation hydrologique ne s'améliore pas.

Que préconisez-vous donc pour faire face au stress hydrique au Maroc?Des mesures urgentes ont bien été prises pour éviter le spectre de la soif, mais pour faire face aux pires scénarios, il faut renforcer davantage l'approvisionnement en eau en poursuivant la politique des grands et petits barrages et des lacs collinaires. Il est prévu que 120 barrages seront achevés au cours de la période 2022-2024.

D’autre projets visant à préserver les eaux souterraines sont entrepris, mais le plus important est de rationaliser l'utilisation de cette substance dans le secteur agricole, qui draine entre 70% et 80% des réserves d'eau du Royaume, à travers notamment la généralisation des systèmes d’irrigation goutte-à-goutte, l’interdiction de la culture de certains produits qui nécessitent une grande quantité d'eau dans les zones qui souffrent de stress hydrique, en plus de la nécessité de réduire les fuites d'eau lors de son transfert à travers les canaux de drainage des barrages aux points d'eau. Il est également très important de favoriser les investissements dans de nouveaux projets pour augmenter le stock stratégique national à travers la construction de davantage d’usines de dessalement d'eau de mer pour inclure toutes les villes côtières.

Toutes ces mesures restent cependant insuffisantes en l'absence d’un vrai effort de sensibilisation auprès des citoyens pour adopter des comportements rationnels et respectueux de l'environnement qui peuvent faire toute la différence. Il faut également des décisions courageuses de la part des autorités pour rationaliser l’usage de l’eau dans le secteur industriel et touristique pour aller vers un tourisme plus durable.

Par Safae Hadri
Le 08/02/2022 à 08h17