Prêt-à-porter: une baisse «inédite» de la demande fait plonger le secteur dans la crise

Pantalons, vestes, robes... Un rayon de vêtements de prêt-à-porter, dans un magasin.  . DR

D'abord touché par la pandémie du Covid-19, puis par les conséquences de la guerre en Ukraine, le secteur du prêt-à-porter traverse actuellement une crise qualifiée d'«inédite». Alors que les prix enregistrent d’importantes hausses et que les ventes continuent à plonger, les opérateurs peinent à naviguer un contexte incertain.

Le 27/11/2022 à 12h57

«Black Friday -40%», «Grandes offres de Friday», «Happy days -50%»… Depuis quelques jours, des pancartes et des stickers, qui annoncent les offres promotionnelles à l’occasion du «Black Friday», remplissent les vitrines des différentes boutiques du Maârif, le quartier commerçant de Casablanca. Si ces affiches captent à coup sûr l’attention des passants, voire en attirent certains à l’intérieur, un grand nombre d’entre eux finissent par sortir les mains vides.

Pourtant, les Casablancais attendaient impatiemment cette période de soldes, pour s’offrir de nouveaux vêtements. «Cela fait un bon moment que j’ai envie, et même besoin, de m’acheter de nouveaux vêtements. Mais à chaque fois que je me rends dans les magasins, je trouve que les prix proposés ne correspondent pas à mon budget», confie Salma, une cliente que Le360 a interrogée. «J’attendais les soldes du Black Friday, mais même après les réductions, les prix restent quand même chers», ajoute-t-elle, de la frustration dans la voix.

Un sentiment partagé par Hassan: «les prix sont tout simplement exagérés. Il y a eu une forte hausse. Désormais, tous les articles coûtent de 150 à 200 dirhams plus chers. Même avec des réductions, ce n’est tout simplement pas possible, surtout dans les conditions actuelles, d’acheter des vêtements à ces prix».

Cette frustration de leurs clients, les commerçants n'y sont pas indifférents, eux qui voient leur activité se ralentir. Toujours au Maârif, la gérante d'une boutique raconte que «les gens viennent, font un tour, regardent les articles exposés, mais la majorité d’entre eux ne passent plus à la caisse. Plusieurs n’osent même plus passer aux cabines d’essayage».

Une baisse «inédite» de la demandeQu’il s’agisse de grandes enseignes ou de petites boutiques, le constat est identique: les Marocains n’achètent plus de vêtements, du moins pas comme avant. Et de fait, la demande sur le prêt-à-porter a baissé à des «niveaux inédits», confirme Karim Tazi, le président-directeur général de l’enseigne marocaine Marwa, que Le360 a interrogé. Il évoque aussi une baisse générale de cette demande, qu'il situe entre 30% et 50% en ce mois de novembre 2022, comparativement au mois de novembre 2021.

Pour expliquer cette baisse de la demande, le dirigeant de l’enseigne marocaine avance, tout comme les clients que Le360 a questionnés, une hausse «importante» du prix des vêtements. «Toutes les enseignes ont dû augmenter les prix de certains de leurs produits. On a bien essayé de maintenir les mêmes prix, d’autant que le pouvoir d’achat des consommateurs est fortement impacté, mais cela s’est avéré malheureusement impossible», regrette le PDG de Marwa.

Et pour Amine Berrada, le président-directeur général du groupe DVH, spécialisé dans la distribution de vêtements de prêt-à-porter pour hommes, qui détient la franchise de l'enseigne Celio pour le Maroc, les différents produits ont connu une augmentation «très importante», en moyenne estimée entre 20% et 30%. «Un pantalon qu’on vendait, par exemple, à 300 dirhams, coûte actuellement 450 dirhams. Les consommateurs marocains ne peuvent tout simplement pas suivre cette évolution des prix, et donc commencent systématiquement à limiter leurs achats», explique-t-il.

Une inflation de plus en plus contraignante pour les textiliens marocainsTout comme d’autres secteurs de l'économie marocaine, celui de l’habillement est donc lui aussi fortement impacté par l’inflation. Les patrons d'usines de confection sont donc confrontés à une forte hausse, sur les marchés internationaux, du prix des matières premières qui entrent dans la fabrication de vêtements. Selon Karim Tazi, les coûts des matières premières ont augmenté de plus de 70% cette année, une situation encore «jamais vue», selon cet industriel, qui assure qu'au cours des années précédentes, cette hausse ne dépassait pas les 10%.

Autre facteur, qui pèse lui aussi sur le coût de revient des industriels marocains: le prix du dollar américain, sur le cours des devises. Selon le PDG de Marwa, si le prix des matières premières a connu une hausse inédite, le cours du dollar, qui a augmenté de plus de 20% depuis le début de l’année, a davantage accentué la pression exercicée sur les fabricants marocains de vêtements de prêt-à-porter.

Et ce n'est pas tout, car la crise, multiforme, est aussi énergétique, et donc fait augmenter les frais des coûts logistiques. Le prix du transport se serait ainsi retrouvé multiplié par six, voire par huit, explique Karim Tazi: «le transport d’un conteneur en provenance de Chine nous coûtait, il y a deux ans, moins de 3000 dollars. Aujourd’hui, le fret est monté jusqu’à 20.000 dollars».

L'augmentation des droits de douane, un coup dur pour les importateursEn élaborant la loi de finances rectificative pour l'exercice budgétaire de l'année 2020, le gouvernement marocain avait décidé d’augmenter le taux des droits de douanes à 40% sur les importations de textile et d’habillement. La décision visait à protéger l’industrie nationale, mais elle est très critiquée par les importateurs.

D’après ceux-ci, la forte hausse du prix des vêtements de prêt-à-porter n’est que le résultat de cette «surtaxation».

«A partir du moment où l’on passe d’un taux de droits de douane de 25% à un taux de 40%, l’augmentation du prix de vente ne peut être que systématique», explique Amine Berrada, le PDG de DVH, qui concède qu'«il y a eu effectivement une augmentation du prix des matières premières et du transport, ce qui a impacté nos fournisseurs européens». Toutefois, tempère-t-il, «cette augmentation a été de l’ordre de 6% ou 7%». 

La crise climatique, pour couronner le toutCette année encore, boutiques, magasins et les différentes enseignes de prêt-à-porter se préparaient à proposer des vêtements adaptés à l'arrivée de l'hiver. Mais en cette fin 2022, le froid habituel, et la pluie dont tous ont l'habitude au Maroc, se sont mis aux abonnés absents.

Ainsi, à une conjoncture économique complexe, est venue se greffer une météo défavorable, très vraisemblablement due aux changements climatiques, qui a donc fait plonger davantage les ventes, et semé encore plus l’incertitude auprès des opérateurs.

«La hausse des températures a aussi joué un rôle important dans la baisse de la demande. Les ventes pour l’hiver sont en chute auprès de toutes les enseignes. Pour que les gens achètent au cours cette période, il faut de la pluie et du froid», explique le PDG de Marwa.

Une inquiétude que partage aussi Amine Berrada, le PDG de la franchise Celio Maroc: «nous vivons un décalage de saisons exceptionnel. On n’a jamais eu un mois d’octobre ou encore de novembre aussi chauds. Nous souffrons énormément à cause de cela, car les clients ne sont prêts à acheter les produits d’hiver que lorsqu’il fait froid», confirme-t-il. 

Dans cette conjoncture difficile, marquée par une crise complexe et multiforme, l’incertitude domine et rend les opérateurs nerveux: «il est très difficile de dire comment va évoluer la fin de la saison. Dans tous les cas, une chose est sûre: on est très loin des niveaux d’avant-Covid», tonne Karim Tazi.

Le 27/11/2022 à 12h57