Alors que l’investissement public va battre de nouveaux records en 2022 avec une enveloppe estimée à 245 milliards de dirhams, l’investissement privé peine à décoller. La tendance est même baissière depuis 2014 à en croire les résultats d’une étude réalisée par Inforisk, société spécialisée dans le renseignement commercial, et que Le360 a pu consulter.
Selon cette étude, qui se base sur les bilans des entreprises non financières privées évoluant dans le secteur formel, les investissements de ces entreprises sont passés de 75 milliards de dirhams en 2014 (équivalent à près de 8% du PIB) à 50 milliards de dirhams (4% du PIB) en 2019. Sur 10 ans, le total n’est que de 621 milliards de dirhams.
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«C’est un niveau très bas», commente Amine Diouri, directeur études et communication chez Inforisk. Selon ses estimations, la part de l’investissement privé au Maroc est autour de 25% contre 75% pour le secteur public, alors que dans des pays comme la Turquie, la part de l’investissement privé est de 85% contre 15% pour le public. Le Nouveau modèle de développement ambitionne justement de porter la part de l’investissement privé à 65% contre 35% pour le public.
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L’étude dévoile également que l’investissement privé est très concentré. «Quelques entreprises concentrent aujourd’hui la majorité des investissements privés au Maroc», observe Diouri, faisant remarquer que ce phénomène se retrouve dans la fiscalité marocaine où 80% des recettes fiscales sont apportés par 0,8% des entreprises.
L’étude montre que le montant moyen investi par les grandes entreprises atteint près de 63 millions de dirhams. Cette moyenne est de 3,3 millions de dirhams pour les PME et de 200.000 dirhams pour les TPE.
PME ou grandes entreprises? Un modèle à choisir«Ce constat nous amène à poser la question du ‘comment’? L’investissement privé n’est pas qu’une question de chiffres, mais aussi une question de choix du modèle de développement», souligne notre interlocuteur, qui donne deux exemples pour illustrer ces propos. Le premier concerne le modèle de développement adopté dans les années 60 par la Corée du Sud. «La Corée du Sud a axé son développement sur quelques grandes entreprises en misant sur les champions nationaux comme LG ou Samsung. Tout l’investissement, notamment en innovation était concentré par ces grands conglomérats qui tirent toute l’économie vers le haut», explique-t-il.
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Le second modèle est celui adopté par des pays comme l’Allemagne ou l’Italie, qui misent sur le développement d’un tissu dense de PME. «Le problème de l’économie marocaine est que son modèle se trouve entre les deux. Nous avons quelques grands champions, mais ce ne sont pas des champions mondiaux, de vrais conglomérats très diversifiés et les PME restent de taille modeste à l’échelle mondiale. Nous n’avons pas encore choisi notre camp», analyse Diouri.
Et de s’interroger: «Est-ce que l’on veut beaucoup de PME, champions à l’export, qui vont investir énormément, où des mastodontes présents dans plusieurs secteurs d’activités? Les décideurs n’ont pas encore véritablement fait un choix tranché sur cette question», estime-t-il.
Aujourd’hui, la locomotive de l’investissement au Maroc c’est l’État. «Mais les investissements étatiques se font généralement dans les infrastructures et ne génèrent pas vraiment de croissance et d’emplois, du moins pas à court et moyen termes». Autrement dit, les investissements étatiques créent les conditions de la croissance, mais le privé doit prendre le relai.
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Une autre problématique soulevée par l’étude d’Inforisk est la nature des investissements réalisés par les entreprises privées. «Aujourd’hui, nous ne sommes clairement pas dans une économie d’innovation. La majorité des investissements se font dans des secteurs traditionnels comme le BTP, le commerce, ou l’immobilier, et très peu dans la recherche et développement (R&D)», souligne Amine Diouri. L’étude montre en effet que les investissements privés dans la R&D ont représenté à peine 0,2% du total des investissements, contre 3% pour la Corée et 1% pour la France.
Quelles perspectives?La pandémie du Covid-19 et ses conséquences sur l’activité économique freine évidemment les velléités d’investir des chefs d’entreprises. Selon l’étude, 81% des entreprises sondées n’ont pas l’intention d’investir en 2021.
Comme l’explique notre interlocuteur, l’acte d’investir repose sur deux éléments: d’une part, les perspectives économiques de marché (conjoncture locale, export, changement de technologie, etc.) qui sont encore très floues pour le moment et, d’autre part, la santé financière des entreprises. Or celle-ci s’est considérablement détériorée à cause de la crise sanitaire. «Quand on a des problèmes de trésorerie, on ne pense pas à investir», résume-t-il.
Diouri souligne dans ce sens qu’il est impératif de régler une fois pour toute la question des délais de paiement qui continuent de s’allonger de manière inquiétante. «En réglant ce problème, on verra des entreprises plus confiantes pour investir et exporter», conclut-il.