Depuis quelques jours, le prix des tomates a littéralement explosé dans les marchés marocains et atteint jusqu'à 12 dirhams le kilo, pour le plus grand désespoir des consommateurs. Même si les vendeurs expliquent cette hausse par la baisse de l’offre, qui intervient chaque année au cours de cette période à cause de l’export, les producteurs, eux, ne sont pas de cet avis.
Contacté par Le360, un producteur de tomates marocaines, membre d'une importante association d'exportateurs de produits agricoles, a détaillé les différents facteurs qui ont conduit à cette hausse des prix, qui intervient dans une conjoncture difficile pour les agriculteurs locaux: une hausse des prix des intrants, et peu d'eau d'irrigation des plants de tomates.
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«Sur les dix, douze dernières années, le coût de revient de la production de tomates au Maroc a doublé. Si on arrivait avant à produire un kg de tomate à 1,7 dirham, aujourd’hui ça coûte près de 3 dirhams le kilo», explique ce producteur, qui souligne qu’en parallèle, la moyenne annuelle du prix de vente des producteurs de tomates au niveau national n’excédait pas 1,5 dirhams le kilo.
Selon ce même producteur et exportateur, ce contexte a induit «qu’avec les niveaux d’investissement, la hausse des charges et les risques pris, personne ne peut se hasarder à ne produire des tomates que pour le marché national, parce que le prix moyen de vente au niveau du marché local pour les 5 dernières années représente à peine la moitié du coût de revient».
Mais comment alors est compensé cet écart? Ce sont les recettes à l’export qui subventionnent le marché local quand la conjoncture commerciale le permet. «La différence entre le coût de revient et le prix de vente au marché local est récupéré sur les réalisations à l’exportation. Quand la conjoncture commerciale est bonne, nous avons assez de marges pour pouvoir subventionner le marché national et répondre à ses besoins», précise cet exportateur de tomates.
Selon le dernier rapport annuel de la commission européenne sur les perspectives à court terme des marchés agricoles au sein de l’UE, le Maroc est le premier exportateur, hors continent européen, qui approvisionne le marché communautaire européen en tomates, totalisant ainsi 70% des exportations. En volume, les exportations de tomates du Royaume vers l’UE se sont élevées à 373.780 tonnes entre janvier et novembre 2020, selon les données d'Eurostat.
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Si les marges réalisées à l’export ne permettent plus de compenser l’écart entre le coût de production et le prix de vente, c’est que la tomate marocaine fait désormais face à une grande concurrence sur le marché européen.
«La concurrence en Europe devient de plus en plus rude. Des pays comme la Hollande et la Belgique commencent à produire en contre-saison, et ça coïncide avec notre production de primeurs exportés vers l’Europe», explique encore cet interlocuteur, qui précise que «normalement, nos productions étaient complémentaires et le début de notre saison coïncidait avec la fin de la leur et vice-versa. Aujourd’hui, les européens prolongent leur cycle de production au maximum (jusqu’en octobre-novembre) ce qui leur permet d’arriver tôt sur le marché (mars-avril)».
A ces facteurs, s’ajoute la mainmise des spéculateurs, qui font flamber le prix de vente au consommateur final. «Aujourd'hui si le prix de la tomate sur le marché de gros de départ est situé entre 4,5 et 6,5 dirhams le kilo, tous calibres et toutes qualités confondues, les prix pratiqués sur les marchés locaux de destination avoisinent les 10 et 12 dirhams le kilo. Cette marge est trop élevée et ne peut pas être expliquée par le simple surcoût du transport et de la main-d'œuvre», regrette ce producteur.
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En plus de la hausse du prix de la tomate sur le marché local, la concurrence à l’export et la cherté des coûts de production poussent plusieurs agriculteurs à se reconvertir vers des productions plus rentables: «nous observons ces derniers temps un phénomène de reconversion vers des productions de produits plus nobles, avec des marges plus correctes comme les fruits rouges ou les tomates de segmentation (cerise, cocktail et olivette) et donc une baisse des superficies des tomates rondes cultivées», explique-t-il.
Les professionnels de la filière tiennent donc à alerter les autorités compétentes quant à un risque de baisse de la production de tomates rondes au cours des prochaines années: «si nous continuons sur ce rythme, arrivera le jour où nous importerons à notre tour de la tomate», martèle ce producteur, qui appelle en conséquence le ministère de l'Agriculture à renforcer ses contrôles pour empêcher les excès de spéculations.
Enfin, cet interlocuteur explique que la situation de la filière risque d’être encore plus difficile au cours des prochains mois, parce que les coûts de revient ne cesseront de grimper, impactés par la hausse des prix des intrants agricoles, du carburant, observée depuis le début de l’année, en plus de la rareté des ressources en eau, qui nécessitent désormais plus d’investissement pour la recherche de ressources hydriques issues de la nappe phréatique.