2023 a été une année très difficile pour le secteur marocain de l’habillement, comme en témoigne la nette baisse de ses exportations vers l’Union européenne (UE). Celles-ci ont, en effet, chuté de 14,2% par rapport à 2022, se chiffrant à 2,55 milliards d’euros, indique Jean-François Limantour, président du Cercle euro-méditerranéen des dirigeants textile-habillement (CEDITH) et de l’association Evalliance de coopération textile entre l’UE, l’Asie du Sud-Est et la Méditerranée, dans une analyse publiée sur LinkedIn.
Le Maroc a, toutefois, pu stabiliser sa part de marché à 3,1%, vu que la baisse a touché pratiquement tous les exportateurs de ces produits vers l’UE, à l’exception «notoire» de la Tunisie. Les industriels marocains de l’habillement peuvent également se consoler de voir les prix de leurs ventes sur ce marché échapper à la baisse presque généralisée, avec une moyenne de 30,61 euros, en hausse de 9,5% sur un an.
Lire aussi : Le Maroc a le 3ème SMIG le plus élevé parmi les pays fournisseurs d’habillement de l’UE
Ce repli global des exportations et des prix de l’habillement sur le marché de l’UE est dû à un net recul de la consommation. Ce qui s’est répercuté directement sur les importations de l’habillement de ce marché qui ont connu un recul de 16% en valeur et de près de 21% en moyenne des prix. «L’année 2023 restera dans les annales comme une année noire, marquée par le recul de la consommation vestimentaire européenne, des faillites en cascade de distributeurs notoires, des montagnes d’invendus, des stocks abyssaux et un commerce international fortement contracté», note Jean-François Limantour.
Un business model à revoir en profondeur
Cette situation était toutefois prévisible, selon l’expert français du textile-habillement: «Ce n’est pas une surprise; avec des budgets plombés par l’inflation, bon nombre de consommateurs ont déserté les boutiques, contraints et forcés. D’où l’effondrement du marché et des importations.» La correction à la baisse est d’autant plus forte que l’année 2022 avait été marquée par une croissance «excessive» des quantités de vêtements mis sur le marché, note-t-il.
Toutefois, à quelque chose malheur étant bon, cette situation peut inciter à changer le modèle actuel qui a montré ses limites. «La crise sectorielle, car il faut bien appeler les choses par leur nom, peut paradoxalement avoir un effet bénéfique pour la filière: inciter à mettre fin à ce business model anti-économique et anti-écologique que, personnellement, je dénonce depuis des années», martèle Jean-François Limantour.
Lire aussi : Prêt-à-porter: une baisse «inédite» de la demande fait plonger le secteur dans la crise
Ce modèle, poursuit-il, consiste à «inonder le marché de vêtements bas de gamme fabriqués en Asie dans des conditions sociétales généralement déplorables, à multiplier les points de vente, à casser les prix à coups de soldes et promotions tout au long des saisons, à vendre une bonne partie des invendus aux spécialistes du déstockage, à détruire une autre partie ou à expédier des montagnes de vêtements vers des pays d’Afrique (…) où ils vont pourrir dans des décharges à ciel ouvert, le long des plages. Un vrai désastre!»
Le Maroc, de 5ème à 8ème fournisseur de l’UE
Ce business model n’a pas impacté que l’Europe, mais également certains de ses fournisseurs, dont le Maroc. En effet, constate l’expert, il «a enfoncé dans la crise nos partenaires méditerranéens dont le textile-habillement était un secteur clé de leurs équilibres socio-économiques».
La part des pays méditerranéens (Turquie, Maroc, Tunisie, Égypte...) sur le marché de l’UE a reculé à moins de 19% contre 24,8% il y a 20 ans (en 2003). À l’époque, rappelle Jean-François Limantour, la Tunisie était le 4ème fournisseur de l’UE avec des exportations d’une valeur de 2,7 milliards d’euros, contre 2,4 milliards d’euros actuellement. Le Maroc occupait la 5ème position avec des ventes de 2,47 milliards d’euros, soit à peu près la même valeur que 20 ans plus tard. Mais aujourd’hui, le Royaume est le 8ème fournisseur de l’UE: «Tous ces chiffres doivent nous interpeller et interpeller nos partenaires méditerranéens. Il n’y a pas de fatalité du déclin. Réveillons-nous!»
Lire aussi : Recyclage textile au Maroc: un filon encore peu exploité
En attendant, les pays d’Asie demeurent, de très loin, la principale zone de sourcing d’habillement de l’Europe, avec à leur tête la Chine, qui reste le premier fournisseur de l’UE, suivie du Bangladesh. La part des pays européens extra-UE (Royaume-Uni, Suisse, Albanie, Serbie, Macédoine…) plafonne à 6,1%.
Les prérequis pour un modèle vertueux
L’expert français s’interroge si ce business model va enfin percuter le mur vers lequel il semble se diriger inéluctablement depuis vingt ans. Ce qui laisserait, espère-t-il, la place à un modèle «vertueux de quasi-parfaite adéquation entre l’offre et la demande». Pour opérer cette mutation, des solutions existent: «Formons et recrutons des modélistes inspirés, des logisticiens, des analystes de la data, des infographistes, des spécialistes de la communication, du merchandising, intégrons à marche forcée les technologies 4.0 fondées sur l’IA, considérons l’information comme un facteur clé de compétitivité, redynamisons le partenariat de proximité sur fond de stratégie gagnant-gagnant et de solidarité», exhorte Jean-François Limantour.