Le cadre réglementaire pour le crowdfunding a été récemment complété par la publication de neuf circulaires d’application de Bank Al-Maghrib et le lancement, par l’Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC), d’un portail spécial afin d’accompagner les futurs acteurs de ce marché pour obtenir leurs agréments.
Le crowdfunding permet la collecte d’apports financiers d’un grand nombre de particuliers au moyen d’une plateforme internet dans l’objectif de financer un projet qui peut avoir plusieurs formes (donation, dette, investissement ou achat), pour des associations, entreprises ou individus. Ce mécanisme permet ainsi de soutenir les porteurs de projets pour réaliser leurs ambitions grâce au soutien de la communauté.
Dans cette interview, Adnane Addioui, président du Centre marocain pour l’innovation et l’entrepreneuriat social (MCISE) et co-fondateur de la plateforme de crowdfunding «Wuluj», revient sur ce cadre juridique et sur le besoin de sensibilisation du grand public à la culture du business angel, afin de réussir sa mise en place.
Comment évaluez-vous le futur cadre juridique pour encadrer le crowdfunding au Maroc?
La loi est passée, les décrets sont en train de sortir, mais je pense que le cadre devrait être plus souple afin d’encourager la frugalité et l’innovation. On impose jusque-là aux plateformes de disposer d’un capital social minimum de 300.000 dirhams et de disposer elles-mêmes d’une politique de prévention et de réduction des risques permettant d’identifier l’origine et la destination des fonds, tout en demandant des informations complémentaires en ce qui concerne les fonds conséquents et vérifiant les interdits bancaires des différents acteurs.
Ces plateformes ont aussi l’obligation de désigner un commissaire aux comptes chargé d’une mission de «contrôle et de suivi des comptes de ses activités de financement collaboratif». Tout un arsenal qui doit être mis en place par la plateforme elle-même et qui alourdit son rôle d’accompagnateur de projets innovants et libérateur des énergies et des potentiels.
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Le crowdfunding en tant que philosophie est complètement différent de la logique bancaire classique. C’est une relation d’individu à individu, et le texte de loi doit faciliter cette relation et la réglementer pour pouvoir servir les citoyens et les encourager à entreprendre.
Avec Wuluj par exemple, nous faisons de la prévente, ce qui ne rentre ni dans la catégorie «prêt», ni «don» ni «investissement». Le cadre juridique reste alors incomplet. La fiscalité n’a pas été annoncée non plus.
Malgré le vide juridique, quelques plateformes de crowdfunding ont déjà vu le jour comme Wuluj. Ce projet a-t-il réussi?
La plateforme Wuluj s’adresse aux startups innovantes et aux artisans novateurs qui souhaitent financer leurs projets et avoir accès au marché. A travers Wuluj, ces startups ont pu dégager les premiers financements de leurs productions et accéder aux marchés national et international.
La plateforme a évolué depuis la crise sanitaire pour offrir une plus large tribune, en intégrant les associations humanitaires en plus des startups. Nous avons ainsi soutenu 36 campagnes de levée de fonds, dont 7 de startups. Le montant total des fonds récoltés est de plus de 460.000 dirhams.
En 2023, nous avons lancé une campagne pour planter 1 million d’arbres, mais les résultats ont été timides avec seulement 25.000 dirhams en dix mois. Egalement, après le terrible séisme qui a frappé le Maroc le 8 septembre dernier, nous avons lancé de nouvelles campagnes avec des résultats plus satisfaisants: près de 1 million de dirhams ont été récoltés en un mois seulement. Mais comme pour chaque crise, l’émotion des premiers jours permet de récolter beaucoup d’argent, puis ça s’arrête juste derrière.
ll est néanmoins important de noter que Wuluj s’est engagée à payer la TVA et l’IS sur les montants collectés de ses propres ressources et de tout verser aux populations dans le besoin.
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Depuis sa création, Wuluj a bénéficié d’un soutien financier de partenaires internationaux - uniquement - tels que la Fondation Drosos, qui a cru en nous dès 2014 et la fondation Open Society, en plus du soutien de l’écosystème du MCISE. Sans partenaires, ce type de plateforme n’aurait pas vu le jour et n’aurait pas survécu. Le modèle économique est, par ailleurs, très fragile vu que la rentabilité est très limitée et que le cadre fiscal actuel n’est pas du tout adapté.
Une fois le cadre réglementaire activé, comptez-vous développer cette plateforme davantage ?
Honnêtement, non. Le cadre proposé à ce jour est tellement contraignant et n’offre aucun soutien pour les plateformes qui veulent faire du don et de la prévente. Et donc, nous ne pensons pas pouvoir suivre la nouvelle réglementation le cas échéant.
Au-delà du cadre juridique, comment réussir l’introduction du crowdfunding au Maroc?
Il y a encore de gros efforts à faire afin d’introduire le crowdfunding au Maroc. Les mentalités doivent changer en faveur de ce mode de financement et de l’investissement «accessible» de manière générale en communiquant massivement à travers la télé, la radio et les réseaux sociaux.
La culture du business angel est encore au stade embryonnaire au Maroc, tandis que l’amorçage et la levée de fonds privés sont très faibles. Des pays comme la Tunisie sont arrivés à résoudre toutes ces barrières en moins de 5 ans, à travers notamment le Startup Act, une réglementation incitative et une promotion de l’entrepreneuriat de manière positive auprès des citoyens et de la diaspora.
Il faut donc instaurer une véritable culture du business angel et sensibiliser le grand public à travers des success-stories, par exemple. Il faut expliquer au grand public que chaque personne peut à son niveau et selon ses moyens, s’il le souhaite, contribuer à la réalisation des projets qui peuvent impacter sur les plans social, économique et environnemental son entourage direct, sa commune, sa ville, sa région ou son pays.