Carburants et forte concentration du marché: le Conseil de la concurrence appelle à revoir d'«urgence» la réglementation

Pistolets de pompes à carburant. 

Pistolets de pompes à carburant.  . IADE-Michoko - Pixabay

Face à la flambée des cours des matières premières et à la hausse inédite des prix de vente des carburants à la pompe, le Conseil de la concurrence a publié, lundi 26 septembre, un avis pour analyser le fonctionnement concurrentiel du marché national. Retour sur les principales conclusions et recommandations du Conseil.

Le 27/09/2022 à 11h57

Dans un avis rendu public, lundi 26 septembre, le Conseil de la concurrence a étudié l'impact de la flambée des prix des intrants et des matières premières au niveau mondial sur le fonctionnement concurrentiel du marché national du gasoil et de l’essence. 

Le premier constat du Conseil de la Concurrence est le niveau de concentration élevé du marché du carburant au Maroc, car malgré l’existence d’un nombre important de sociétés de distribution actives (29 opérateurs), quatre sociétés leaders réalisent à elles seules environ 65% du chiffre d’affaires total du marché.

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Pour ce qui est de la structure des prix du gasoil est de l’essence au Maroc, le Conseil de la concurrence relève que dans l’ensemble et sur la période 2018-2021, les coûts d’achat des produits raffinés représentent l’essentiel du prix de vente à la pompe: 51% pour le gasoil et 43% pour l’essence, suivis des taxes qui représentent à elles seules, plus de 35 % du prix d’un litre de gasoil et 45% de celui d’un litre d’essence.

Le reste du prix de vente est composé des marges de distribution qui représentent environ 12% (essence) à 14% (gasoil). Ces marges sont réparties entre les sociétés de distribution à hauteur de 9 à 10% et les stations-service à environ 4 à 5%.

Affaiblissement de la corrélation entre les cours du baril et les prix de venteEn analysant la structure des prix, les marges et la cotation internationale à partir de 2020, le Conseil relève, un affaiblissement de la corrélation entre les cours du baril de pétrole brut, les cotations des produits raffinés et les prix de vente sur le marché national durant les années 2020 et 2021 ainsi que les quatre premiers mois de l’année 2022.

En focalisant l’analyse sur les années 2020, les cours du baril de pétrole brut ont chuté de 34%, les cotations FOB (sans frais à bord, Ndlr) du gasoil ont baissé de 36%, tandis que les prix de vente sur le marché national n’ont diminué que d’environ 12%, ce qui veut dire que les opérateurs n’ont répercuté que partiellement les baisses des cotations enregistrées au niveau international, indique l’avis du Conseil de la concurrence.

A l’inverse, en 2021, les cours du baril de pétrole brut ont progressé de 67%, les cotations FOB du gasoil ont augmenté de 41% alors que les prix de vente sur le marché national n’ont progressé que de 11%, ce qui veut dire que les opérateurs n’ont répercuté, que partiellement, les hausses des cotations du gasoil à l’international sur les prix de vente sur le marché national.

Hausse des marges en 2020 S’agissant des marges des opérateurs, l’analyse du Conseil de la Concurrence fait ressortir une hausse des marges sur le gasoil plus marquée en 2020 en dépassant le seuil de 1 DH/l chez l’ensemble des opérateurs.

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Ces marges sont supérieures à 1,25 DH/l chez les trois premiers opérateurs du marché (Afriquia SMDC, TotalEnergies Marketing Maroc et Vivo Energy Maroc) et frôle même les 1,40 DH/l chez Vivo Energy Maroc. Ces marges représentaient en 2020, plus de 15% du prix de vente d’un litre de gasoil contre une moyenne de 9% sur toute la période 2018-2021. La hausse de la marge des distributeurs est constatée aussi sur l’essence, mais à un degré moindre: une moyenne de 1,15 DH/l en 2022 alors que sur la période 2018-2021, elle était de l’ordre de 0,93 DH/l.

Il ressort ainsi que les sociétés de distribution n’auraient pas profité de la forte chute du cours sur le marché international pour gagner des parts de marché par le jeu de la libre concurrence et auraient opté pour une augmentation de leurs marges. Un constat qui est corroboré par l’analyse du niveau de corrélation présentée auparavant: les cotations à l’international ont baissé de 1,73 DH/l alors que les prix de vente sur le marché national n’ont chuté que de 1,18 DH/l, soit un écart de 0,55 DH/l' explique le Conseil de la concurrence.

Revoir le cadre de régulation en urgencePour rendre les marchés du gasoil et de l’essence plus concurrentiels, l’institution dirigé par Ahmed Rahhou a émis une série de recommandation à commencer par une révision d’«urgence» et en profondeur le cadre de régulation des marchés de l’essence et du gasoil en vue de l’assouplir et de le rendre compatible avec les contraintes et les réalités des marchés, tout en conservant et en renforçant les fonctions régaliennes de contrôle et de sécurité du pays.

Le Conseil appel également à assouplir davantage les conditions d’accès aux marchés du gasoil et de l’essence en amont et en aval à travers notamment, le remplacement du régime des agréments en vigueur aux stations-service par un simple système déclaratif et substituer ainsi, le contrôle ex ante de l’activité des stations-service par un contrôle ex post de ces derniers.

Il est également question d'encourager davantage les investissements dans les capacités de stockage par des tiers indépendants, dont le métier principal est le stockage des produits pétroliers en imposant à ces derniers de mettre leurs infrastructures au profit des distributeurs en gros ou des importateurs des produits raffinés contre rémunération de leurs services.

Etudier l’opportunité de développer l’activité du raffinage au MarocPar ailleurs, le Conseil de la concurrence appelle à étudier l’opportunité de maintenir et de développer une activité du raffinage au Maroc. Selon, les analystes du Conseil, compte tenu de la structure des prix telle qu’appliquée du temps où l’unique raffinerie du pays était en activité, et en l’absence de données sur ses coûts réels de raffinage, de ses coûts de revient, de ses marges et sa rentabilité, il est difficile de se prononcer, en l’état actuel des choses, sur l’opportunité de maintenir et de développer une activité de raffinage au Maroc.

Ainsi et afin de disposer de données économiques précises et actualisées sur l’industrie de raffinage à l’échelle mondiale pour faire les arbitrages nécessaires pour le maintien et le développement éventuels d’une activité de raffinage au Maroc, le Conseil recommande au gouvernement de diligenter, en urgence, une étude économique et technique approfondie susceptible d’apporter des éléments de réponse précis en intégrant les évolutions que connaît cette activité sur le marché mondial.

Instaurer une taxe exceptionnelle sur les surprofitsSur le volet fiscal, l’institution dirigé par Ahmed Rahhou recommande d’étendre le régime fiscal appliqué actuellement aux secteurs protégés, au marché de la distribution des produits pétroliers tout en instaurant une taxe exceptionnelle sur les surprofits des sociétés d’importation, de stockage et de distribution du gasoil et de l’essence.

Compte tenu du niveau élevé des marges dégagées par les opérateurs durant les périodes des chutes des cours à l’international (2020 et 2021), le Conseil propose au gouvernement, de mettre en place une taxe exceptionnelle dégressive sur les bénéfices réalisés sur les surprofits des sociétés concernées. Cette mesure vise essentiellement à inciter les opérateurs à lisser leurs marges en cas de baisses des cotations à l’international en répercutant immédiatement les baisses sur les prix de vente sur le marché national et permettra de mieux animer la concurrence par les prix sur les marchés en question.

Le Conseil écarte, par ailleurs, tout retour éventuel à la subvention directe des carburants et suggère d’instaurer en lieu et place des aides directes aux populations les plus vulnérables et des allégements fiscaux adéquats au profit des classes moyennes.

Finalement, le Conseil de la Concurrence appelle à accélérer la mise en œuvre de la stratégie nationale pour une transition énergétique afin de réduire la dépendance du Maroc au marché énergétique international.

Par Safae Hadri
Le 27/09/2022 à 11h57