«Les meutes» de Kamal Lazrak, Prix du jury à Cannes dans la catégorie «Un certain regard», sort fin janvier 2024. Un film réunissant des acteurs non professionnels avec à leur tête Abdelatif Mastouri et Ayoub Elaid. Une histoire qui démarre par de petites bricoles dans les fins fonds du Casablanca underground, la nuit, et qui se termine sur un meurtre avec deux cadavres sur le dos, un gramme de culpabilité et des miettes d’empathie et d’humanisme ramassées à la cuillère.
Un film avec, soit dit en passant, plusieurs scènes clichées: la scène du hammam pour laver ses péchés, et celle de la grand-mère qui supervise le lavage du corps du défunt pour faire référence au poids de la conscience...
Dans cette interview accordée à Le360, le réalisateur, dont c’est le tout premier long-métrage, explique sa démarche.
Le360: votre premier long-métrage «Les meutes» est en compétition au Festival international du Film de Marrakech. Comment s’est déroulé le processus de sa fabrication que vous qualifiez parfois «d’artisanale»?
Kamal Lazrak: ce film découle d’un court-métrage que j’avais réalisé, intitulé «L’homme au chien» et qui se déroulait en pleine nuit à Casablanca avec des acteurs non-professionnels. C’était un travail sur les milieux souterrains de Casablanca. Cette expérience me tenait particulièrement à cœur. Ce dispositif d’une nuit dans la ville, et le travail avec les non professionnels qui apportent leur vécu pour enrichir leur rôle m’avait beaucoup intéressé. J’avais donc envie de poursuivre mes recherches dans cet univers-là.
Lorsqu’on effectue des castings sauvages avec des non-professionnels, au lieu de leur faire jouer des séquences, je leur demande de relater leur vécu et de me raconter des anecdotes. Durant ces castings, il y avait une idée qui revenait souvent... Ces personnes me disaient qu’ils vivaient au jour le jour de petites bricoles, de petits boulots et que souvent ils se trouvaient piégés dans un engrenage. Je pensais que ça pouvait donner lieu à une fiction intéressante et c’est comme ça que l’idée d’écrire cette histoire m’est venue. Une fois le scénario terminé et les financements obtenus, lorsque nous étions prêts à nous lancer dans le tournage de ce film, nous avons fait un long processus de casting pour trouver les deux acteurs principaux. J’ai dû adapter ce que moi j’avais imaginé. Lorsqu’on travaille avec des non-professionnels, il faut à mon avis faire preuve de beaucoup de souplesse et d’adaptabilité... ne pas leur demander de venir vers un projet cadenassé, mais de s’ouvrir à eux pour pouvoir obtenir l’authenticité qu’on recherche.
Pendant le tournage, il a fallu réécrire certaines scènes, car les choses ne se passaient pas comme prévu, il y avait des évènements qui allaient dans le sens du film, donc on devait les accueillir, les intégrer... La trame s’est tissée petit à petit. Au fil du tournage, on peut parler de grande réécriture et une fois au montage, aussi, car on avait obtenu une matière brute avec des choses éclectiques.
Dans le dialogue, il y a beaucoup de spontanéité. Avez-vous intégré les propos des acteurs qu’ils avaient développés dans le vif du tournage du film?
La méthode que j’ai expérimentée et que j’ai poursuivie dans ce film avec les acteurs non-professionnels, était de ne pas leur remettre de dialogue très précis à apprendre par coeur, mais plutôt de leur donner les points les plus importants sur chaque séquence. Lorsqu’on tourne, ils régurgitent le dialogue et le disent avec leurs propres mots. Puis, lorsqu’ils trouvent un ton juste et un bon fonctionnement de la séquence, là je leur demande de répéter leur propre dialogue et je réajuste un peu avec eux.
Au fur et à mesure, les séquences se créent. Ils ont beaucoup apporté au dialogue car ils ont choisi leurs mots, leur façon de s’exprimer, de bouger. Ils avaient beaucoup de liberté, mais il fallait que ça s’insère dans une démarche narrative. C’était mon travail sur le plateau de voir si ce qui était proposé allait dans la bonne direction ou pas, pour pouvoir faire les ajustements nécessaires.
Dans «Les meutes », la morale et la religion sont noyées dans un amas de contradictions. Pourquoi avez-vous choisi de les opposer?
C’était dans le scénario. Pour moi, ce sont des personnages qui sont pris dans un cauchemar, et beaucoup de personnes se rattachent aux croyances, à la superstition, à la religion. Cela peut être contradictoire car ils sont en train de commettre des actions criminelles, mais malgré cela ils ont besoin de se rattacher à quelque chose de transcendant. C’était quelque chose qui était présent, mais qui a beaucoup été accentué par les acteurs parce qu’ils renforçaient à chaque fois cet élément. Le film a échoppé sur un problème malgré nous: quoi que l’on fasse dans la vie, il ne faut pas être maudit! Il faut faire en sorte que notre âme ne soit pas salie par ce qui nous arrive. Les acteurs ont ressenti très fort ce sentiment, et c’est pour cette raison que c’est encore plus intense que ce qui était prévu dans le script.
Dans l’une des scènes, un corps devait être découpé et calciné... Comment cette séquence cruciale a-t-elle été conçue? Notamment que le personnage de Dib, qui a poussé les deux héros dans cet engrenage, semble commencer à comprendre leur désarroi.
C’était en fin de tournage, les acteurs étaient très fatigués et il y avait beaucoup d’intensité. Du coup, ça s’est transformé en une tension dramatique assez forte et les émotions ont surgi subitement de manière instinctive. Tout au long du film, il y avait toujours cette ambivalence entre des personnages pris dans des actions très violentes, parfois brutales, mais en même temps avec une humanité, un désir de solidarité très présents dans le scénario et que j’avais envie de retrouver dans à peu près toutes les séquences. Tout n’est pas blanc ou noir, il y a souvent des ambivalences dans les émotions des personnages.
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Le film a eu son premier prix à Cannes dans la catégorie «Un certain regard». C’était la première expérience de vos acteurs principaux, la première fois qu’ils prenaient l’avion... Ne sentez-vous pas que vous êtes à présent investis de la mission de leur assurer la continuité de ce «rêve» devenu réalité?
Oui bien sûr. C’est vrai qu’à Cannes, c’était la première fois qu’ils prenaient l’avion, la première fois qu’ils quittaient le Maroc. À Cannes, il y avait beaucoup de médias, c’était très intense et le retour sur terre peut être très difficile. Mon rôle était de les accompagner et de faire en sorte que le retour sur terre soit progressif. Ayoub, je l’encourageais à passer d’autres castings, il y a tout un accompagnement qui se fait. Je suis toujours en contact avec eux.
L’avant-première marocaine du film s’est faite en compétition au Festival international du Film de Marrakech. À quand la sortie dans les salles de cinéma au Maroc?
Cela s’est décidé il y a quelques jours, le film sort fin janvier 2024 au Maroc. Une distribution est en projet.