Le couronnement surprise de la première Dauphine Kawtar Benhalima à la place de la nouvelle Miss Maroc, Fatima Zahra El Khayat, fait décidément couler beaucoup d’encre. Non pas que les gens se soient particulièrement inquiétés pour l’état de santé de la Miss sortante en raison d’une entorse à la cheville. Non ! Car ce qui a déclenché l’ire de la Toile, jusqu’à aboutir à une pétition pour exiger le retrait du titre de Miss Univers Maroc à la nouvelle venue, c’est la vidéo d’un discours tenu par la nouvelle Miss, Kawtar Benhalima, lors du concours Miss Maroc, dans lequel celle-ci évoque sa grand-mère aux origines algériennes, quand le jury lui demande de parler d’une femme inspirante à ses yeux.
Lors de cet oral, la jeune femme raconte ainsi comment sa grand-mère a fui l’Algérie pendant la guerre pour trouver refuge au Maroc, où elle a appris la couture, et comment par la suite, elle a transmis cet art aux autres femmes marocaines, leur permettant ainsi via ce savoir-faire d’accéder à l’autonomie.
Le sang de certains internautes, chauffé à blanc par l’escalade que le régime algérien alimente contre le Maroc, n’a fait qu’un tour. Comment? Une Algérienne aurait prétendument enseigné l’art du caftan, cet habit traditionnel marocain, aux Marocaines? Comment? Une Algérienne aurait libéré les femmes marocaines? Et puis quoi encore, une Algérienne Miss Maroc! Pas question!
Un déchainement aussi haineux que ridicule qui ne saurait nous laisser indifférents et ce, pour plusieurs raisons. Primo, à aucun moment dans ses déclarations Kawtar Benhalima n’a prétendu asseoir une pseudo-suprématie de ses origines algériennes sur les Marocaines. Sa grand-mère a appris la couture au Maroc et a transmis à son tour ce savoir-faire, acquis dans le Royaume, à ses nouvelles concitoyennes. Où est le problème? Depuis quand la transmission d’un métier est-elle conditionnée par une nationalité?
Et quand certains s’offusquent du fait que l’enseignement d’un savoir-faire aux femmes leur permet d’accéder à l’autonomie, et donc à la liberté…. Vous êtes sérieux les gars? Un petit tour à travers le Maroc, votre pays, vous permettrait de vous rendre compte que oui, les femmes accèdent à l’autonomie financière en travaillant. Rien de nouveau sous le soleil.
Qu’est-ce qui est dérangeant là dedans? Que l’enseignante-formatrice soit étrangère? Dans ce cas-là, fermons les écoles étrangères à travers le Maroc, et puis tant qu’à faire, faisons le tri sur internet où pullulent les formations étrangères, interdisons aux entreprises étrangères de s’installer au Maroc, bannissons des musées et des galeries les artistes étrangers et détruisons aussi tout le patrimoine culturel et architectural laissés au Maroc par les Romains, les Phéniciens, les Portugais, les Espagnols, les Français, grâce auquel le tourisme marocain rayonne à travers le monde… Cadenassons bien le tout pour veiller à une propagation d’un savoir marocain, transmis entre Marocains de souche.
Venons-en maintenant à l’histoire du caftan… Beaucoup de haineux ont bien vite extrapolé en concluant que la méchante algérienne tente de faire croire que le caftan est algérien en se vantant que sa grand-mère aurait appris l’art de la couture aux Marocaines. Calmez-vous les gars, on va mettre tout le monde d’accord très vite, le caftan n’est ni algérien, ni marocain d’ailleurs, pas la peine de vous battre pour ça. Pour la petite histoire, le caftan trouve ses origines chez les Perses et était déjà porté par les Parthes et les Sassanides, avant d’être introduit dans l’Orient musulman vers le VIIIe siècle. C’est à cette époque que les premiers califes abbassides s’entichèrent de cette mode perse et que les Omeyyades suivirent, introduisant cette tradition en Andalousie. Les grandes dynasties marocaines, comme les Almoravides et les Almohades, ayant exercé une souveraineté sur l’Andalousie, ont introduit le caftan à Marrakech et à Fès.
Mais venons-en maintenant au cœur du problème, à cette histoire de nationalité, car on n’en est plus à une contradiction près. Comment peut-on se vanter de la marocanité des origines de Marocains évoluant avec brio dans les circuits occidentaux de la mode, de la culture, du business, du sport etc., et ne pas concevoir qu’au Maroc, un étranger fasse de même?
Comment a-t-on pu applaudir l’élection d’une Miss Univers Espagne d’origine marocaine quelques semaines auparavant et retirer ce même droit à une marocaine d’origine algérienne par sa grand-mère? Si demain, en France par exemple, on retirait à une Miss française, dont la grand-mère est marocaine, le droit de se porter candidate à un concours de ce type sous prétexte d’une tension politique avec le Maroc… Ça nous laisserait de marbre?
Laissons ce discours de haine à la junte qui dirige l’Algérie. Celle-ci ne rate pas une occasion pour galvaniser le peuple algérien contre L’Mrarka. Nous valons beaucoup mieux que cela, nous qui avons toujours tenu à établir une porte coupe-feu entre les différends qui opposent nos régimes et les ponts qui ne doivent jamais être obstruées entre les peuples. Vous voulez une preuve? Regardez combien d’artistes-chanteurs algériens se produisent dans les festivals de musique au Maroc. Regardez, comment ils sont aimés par les Marocains. D’ailleurs, pour nombre de ces artistes algériens, le Maroc est devenu l’un des plus grands marchés. Restons fidèles à nous-mêmes et ne rivalisons pas dans la haine de l’autre avec le régime militaire qui dirige les Algériens. A ce jeu-là, nous perdrons de toute façon, à coup sûr.
En définitive, et c’est là le plus malheureux dans cette histoire, comment peut-on prétendre en tant que Marocains, nous qui sommes le fruit d’un métissage vieux de douze siècles, à une pseudo identité maroco-marocaine. Quelle méconnaissance de notre histoire, de notre réalité et de notre culture! La question d’une identité de souche n’a pas lieu d’être ni au Maroc, ni ailleurs dans le monde au demeurant. Pas besoin de remonter très loin dans nos généalogies respectives pour se découvrir des origines juives, amazighes, andalouses, arabes, africaines…
Cette polémique vide de sens à laquelle certains tentent de conférer une importance qu’elle ne saurait avoir, n’a pas lieu de s’inviter au Maroc. Ce type de messages de haine et de rejet est propre à la junte militaire au pouvoir en Algérie, ne tombons pas dans ce cercle vicieux et vide de sens. Car si nos concitoyens marocains résidant en Algérie ont fait l’objet de commentaires haineux émanant de certains va-t-en guerre adeptes du pouvoir algérien, il ne saurait en être de même pour les Algériens habitant au Maroc. L’exemple de cette grand-mère qui a fui son pays pendant la guerre pour trouver refuge au Maroc est un honneur pour notre pays qui s’est de tout temps illustré comme une terre d’accueil et de métissage pour différentes communautés.
Et si tout cela ne suffit pas à calmer ces esprits biberonnés à la haine, qu’ils se rassurent, les parents de Kawtar Benhalima sont bien Marocains. Sa grand-mère algérienne s’est même mariée à un Benjelloun et leur fille, la mère de Kawtar, est née de cette union à Casablanca. Quant à son père, un Marocain bien de chez nous, il est né à Ouarzazate. Tout cela est-il suffisant pour garantir sa marocanité et laisser cette jeune femme accomplir son rêve de représenter son pays, le Maroc, en Israël?
Au final, ce qu’on aurait presque souhaité tant toute cette histoire est ridicule, c’est que Kawtar Benhalima soit pour la peine 100% algérienne et qu’elle représente notre pays le Maroc à ce concours. Quel beau message de paix et de fraternité ç'aurait été…