Le dernier discours du Roi Mohammed VI prononcé à l’occasion de la fête de la Révolution du Roi et du peuple a confirmé nos craintes. Le laisser-aller des Marocains a fait la peau aux efforts déployés depuis le début de la pandémie par le pays pour enrayer la propagation du virus.
Principalement pointé du doigt, l’incivisme qui mine notre société. En dénonçant cette tare qui nous caractérise dans notre ensemble, on se fait généralement alpaguer par ceux qui prétendent que le manque de civisme n’est pas le problème. Que ce sont plutôt les défaillances de l’Etat qui ont causé ce grand n’importe quoi dans lequel nous baignons en ce moment. Que c’est la faute de ce pays qui a sacrifié l’éducation nationale sur l’autel d’autres intérêts.
Pourtant, le civisme, synonyme de patriotisme, on nous l’apprend à l’école. Il fut un temps, pas si lointain, où le civisme commençait avant l’heure de classe, dans la cour de récréation, quand tous, en tabliers d’écoliers, chantions l’hymne national, alors que l’un d’entre nous hissait le drapeau. Autant dire que celui qui était désigné, ce matin-là, vivait cela comme un honneur et un grand privilège. Mais au-delà de ce rituel très matinal, il était aussi question, pendant nos cours de morale, du respect dû à nos proches, aux autres, aux institutions, à la Nation dont nous faisons partie…
Ce civisme qui nous fait visiblement défaut aujourd’hui c’est «le dévouement envers la collectivité, l'Etat, et à la participation régulière à ses activités, notamment par l'exercice du droit de vote», nous rappelle une définition du Larousse. Nous reconnaissons-nous vraiment dans la définition de ce dictionnaire français de référence?
Quoique l’on puisse en penser, la réponse est bel et bien non, et se confirme à la seule lecture du mot «dévouement». La collectivité a laissé place à l’individu et l’intérêt personnel, en tout égoïsme, passe aujourd’hui au-dessus de l’intérêt de tous. L’Etat, on s’en méfie comme de la peste et on passe notre temps à coudre de fils blancs des scenarii complotistes dont on serait les principales victimes. Alors lui rendre service en participant à ses activités, très peu pour nous. Quant au droit de vote… Pourquoi faire? De toute façon, ils sont tous corrompus, les gens qui occupent le pouvoir, c’est bien connu.
Il a suffi d’une journée de déconfinement pour qu’on assiste au retour en force des plus bas instincts des uns et des autres. En témoigne l’état déplorable dans lequel se retrouvent les plages chaque jour, croulant sous les ordures que des personnes manquant de sens du civisme laissent derrière elles. Fort heureusement, leur accès est maintenant interdit. Il aura donc fallu en arriver à une nouvelle interdiction pour pouvoir contrer nos bas instincts et notre égoïsme. C’est donc à cela que nous en sommes réduits? A être un peuple irresponsable, qui ne réagit qu’aux interdictions et qu’aux menaces?
Les manquements de l’éducation nationale sont-ils vraiment le problème, quand même l’élite du pays, scolarisée dans des écoles étrangères, ayant passé un bout de sa vie à l’étranger, affiche sans gêne son incivisme? Cet incivisme ne serait-il pas, en fait, le reflet à d’autres maux bien ancrés dans nos mœurs?
Il y a l’arrogance de celui (ou celle) qui se croit au-dessus des lois, que l’on reconnaît à sa manie de passer devant tout le monde dans la queue, à son besoin frénétique d’allonger un petit billet sous la table, à sa propension à prendre tous les serviteurs de l’Etat pour ses propres employés. «Jette ton papier par terre al hbib diali, ils sont là pour ramasser», enseignent-ils déjà à leurs gosses.
Il y a l’assurance de celui qui pense être plus intelligent que les autres en contournant les lois et qui veille lui aussi à bien inculquer sa science à ses enfants dès leur plus jeune âge. Il y a l’égoïsme de celui qui ne voit pas pourquoi il devrait payer des impôts sur ses revenus, vu que l’Etat ne fait rien pour lui… Mais qui est le premier à pester contre les infrastructures qui tombent en ruine.
Il y a celui qui considère que son pays est un pays du tiers-monde et qu’à ce titre, il ne mérite pas qu’on se fatigue pour lui. Chez ce spécimen en particulier, le Maroc, où il vit pourtant, fait toujours l’objet de critiques sans fins, de comparaisons -pourtant inutiles- avec ces pays occidentaux qui sont tellement plus évolués. Alors, on ne paie pas le syndic, mais on réclame de la propreté. On blâme ce pays qui ne fait rien pour ses citoyens, mais ça ne nous empêche pas de vivre dans une villa cossue.
Il y aussi celui qui n’a pas hésité une seconde à profiter de l’aide sociale attribuée aux personnes en difficultés pendant le confinement, alors même qu’il n’en a pas besoin, et habite dans une villa de luxe. Pour lui, c’est une question de principe, de vengeance froide, une manière de dire «fuck the system».
Il y a celle qui n’envisage pas sa vie sans la présence d’une femme de ménage à demeure, mais qui ne comprend pas pourquoi elle devrait payer des charges sociales pour l’employer. Après tout, «ces gens-là n’ont pas besoin de ça».
Il y a aussi cet anarchiste du dimanche, qui aime à déverser son savoir complotiste entre deux verres de sky, arguant que les lois c’est pour les moutons, et les masques pour les crédules. Pour ce fhamator qui aime étaler son savoir sur la toile, obéir, c’est capituler.
Des exemples comme ceux-là, il y en a à la pelle… Autant de témoignages d’un nivellement par le bas de notre société, et d’une croyance profondément ancrée, selon laquelle le civisme est une forme d’abdication à l’ordre établi, un acte de soumission à un système qu’on a visiblement du mal à accepter.
In fine, à la prochaine rentrée scolaire, ce seront nos enfants qui subiront les conséquences de notre incivisme. Malheureusement, les inégalités sociales aidant, nous ne serons pas logés à la même enseigne. Tout le monde n’aura pas les moyens de s’équiper d’un ordinateur, d’une connexion, voire d’un prof particulier, pour poursuivre sa scolarité normalement.