Terrorisme

Famille Ben Jelloun

ChroniqueCertains journalistes précisent qu’il s’agit «d’islamisme», d’autres ne prennent plus la peine de distinguer islam et terreur. Résultat, ce n’est plus l’islamophobie (la peur de l’islam) qui se répand, mais la haine de l’islam et des musulmans.

Le 01/07/2019 à 10h59

C’est devenu un fait banal: chaque semaine ou presque le Bureau central d’investigations judiciaires (BCIJ) démantèle une ou deux cellules d’individus préparant des attentats au Maroc. Pratiquement toutes les régions du pays sont contaminées par ce fléau. D’un côté on est rassuré, on se dit «la police marocaine est très efficace», de l’autre on est inquiet, parce que cette source de la barbarie paraît intarissable. On ne comprend pas comment et pourquoi des citoyens de ce pays décident de tenter de le détruire ou du moins d’y créer un chaos qui ruinerait pour longtemps son économie, sa stabilité et son devenir. Ce sont bien des Marocains, même si les ordres de faire le malheur viennent d’ailleurs.

Qu’est ce qu’ils ont dans le crâne? Comment en sont-ils arrivés à cet extrême? Quelles sont leurs motivations profondes? Qui les finance? Qui leur donne des ordres? Tant de questions qui restent sans réponses.

On sait qu’au début de l’apparition de Daesh, des Etats du Golfe ou des hommes fortunés de ces pays leur ont fourni assez d’argent pour acheter des armes et commettre leurs premiers crimes.

Bachar al Assad, l’assassin de son peuple, avait libéré des islamistes radicalisés afin qu’ils rejoignent les rangs de Daesh, ce qui lui a permis de faire passer dans l’opinion mondiale: «c’est moi ou Daesh». Le pire, ça a marché. Il est toujours au pouvoir. Six millions de Syriens sont réfugiés dans plusieurs pays.

Quels étaient les intérêts de ces Etats ou hommes fortunés? Comment ne pas avoir perçu dans cette aventure horrible le moyen le plus efficace pour salir l’islam et en faire une idéologie de mort et de haine. Aujourd’hui, les gens, surtout en Europe et en Amérique, ne font plus de différence entre cette religion et le terrorisme. L’amalgame est devenu quasi-automatique. Les esprits l’ont adopté et ne laissent aucune place au doute, à la réflexion. Certains journalistes précisent qu’il s’agit «d’islamisme», d’autres ne prennent plus la peine de distinguer islam et terreur. Résultat, ce n’est plus l’islamophobie (la peur de l’islam) qui se répand, mais la haine de l’islam et des musulmans.

Il va falloir plusieurs générations et un travail de rectification par la pédagogie, par le savoir pour laver l’islam de cette tache qui pèse sur lui et sur ses adeptes. Cette haine s’exprime aussi bien dans la méfiance normale que dans des meurtres prémédités comme ce fut le cas en Nouvelle-Zélande où un individu a réussi à tuer 49 personnes dans deux mosquées à Christchurch le 20 mars 2019. Une tuerie dans un pays paisible où rien ne désignait les musulmans à devenir la cible d’un tel massacre. Cette haine vient de loin et s’est répandue un peu partout dans le monde.

Daesh a perdu le terrain mais il n’a pas renoncé à faire le malheur du monde. On sait qu’il fait tout ce qu’il peut malgré ses défaites pour que des attentats aient lieu sur le territoire de notre pays et ailleurs. Cette semaine, un attentat au nord du Sinaï et un autre en plein centre de Tunis, les deux ont fait des morts et des blessés au sein de la police et ont été revendiqués par la centrale du crime.

Pour Daesh, le Maroc est une obsession, une idée fixe. La résistance de notre pays vient du fait que le peuple se sent concerné, il est vigilant; quant à la police, elle fait son travail d’investigations avec méthode et rigueur. On sait que Daesh ne se considère pas vaincu et poursuit à partir de là où il se cache (la Libye où il profite du chaos y régnant) pour aller recruter des adolescents à Mossoul et ailleurs pour reconstituer une armée de criminels. Souvent ces jeunes sont des orphelins de la guerre, des enfants des rues qui n’ont rien à perdre et seraient prêts pour n’importe quelle aventure.

Le monde civilisé n’est pas assez armé pour lutter contre ces guerriers d’un genre nouveau. Les démocraties, les Etats de droit, appliquent les lois à la lettre ce qui profite d’une certaine manière aux terroristes. Le débat existe mais il est silencieux : faut-il se conduire en respectant les droits de l’individu reconnu, preuves à l’appui, comme terroriste, donc comme ennemi du pays et du peuple, ou bien traiter ces «égarés» selon leurs méthodes, qui ne respectent ni la loi ni le droit?

En France, la question s’est publiquement posée concernant des éléments de Daesh de nationalité française, arrêtés et jugés puis condamnés à mort en Irak. Une avocate disait l’autre jour à la télé que la France a voté contre la peine de mort, donc ces citoyens français ne devraient pas être exécutés en Irak. D’autres disent: ce sont des adultes qui ont fait le choix de partir en Syrie ou en Irak pour combattre leur pays; ils ont échoué, même si la justice irakienne est expéditive, ils n’ont que ce qu’ils méritent.

Les hommes politiques évitent de prendre une position claire sur cette question. Le silence est parfois une forme d’acquiescement. On se souvient de la phrase de Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur du gouvernement Jacques Chirac : «il faut terroriser les terroristes!»

Facile à dire.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 01/07/2019 à 10h59