J’avoue, en tant que simple citoyen, en tant que père, j’avoue que j’ai peur. Ce sentiment d’un danger potentiel menaçant est entré en moi comme un voleur. Il est là. Je ne sais pas comment il s’est installé chez moi, comme un compagnon indésirable.
La peur est souvent irrationnelle. On a peur du noir, de l’inconnu, du bruit anormal, du ciel en colère, de la mer agitée, des turbulences en avion. Mais là, c’est une peur distillée par un homme, un homme puissant et dangereux. Son visage impassible est celui de quelqu’un qui ne plaisante pas. Pas un sourire. Pas le moindre trait d’humanité bienveillante. Il fait ce qu’il dit et rien ne l’arrête. On se demande «a-t-il un cœur?»
La peur dont je parle, n’a rien à voir avec ce que Vittorio Alfieri (1794-1803) écrivait dans «De la tyrannie»: «de la peur de tous naît, sous la tyrannie, la lâcheté du plus grand nombre».
Nous sommes nombreux à avoir peur de Poutine, mais nous ne nous sentons pas lâches. Nous nous sentons démunis, impuissants face à une machine de guerre qui menace de passer du char à la bombe atomique. Il l’a dit. Il est capable, dans un moment de folie furieuse, d’appuyer sur le bouton.
L-F. Céline écrit de son côté: «c’est des hommes et d’eux seulement qu’il faut avoir peur, toujours». (Voyage au Bout de la nuit).
On nous dit que Poutine a perdu la guerre en Ukraine. Peut-être. Cela le rend encore plus déterminé à faire mal, non seulement aux Ukrainiens mais aux Européens qui les ont soutenus en leur envoyant des armes et de l’argent.
J’ai l’impression que l’Amérique et l’Europe ont mal mesuré les menaces de Poutine. Le président français, Macron, pense qu’en lui téléphonant souvent il pourra agir sur ses décisions. Poutine se moque de Macron et le considère comme un gamin qui fait de la politique. Quand il l’avait reçu, avant le déclenchement de la guerre, il l’a à peine salué et l’a installé au bout d’une table de six mètres de long. Humiliation évidente.
Macron n’a pas peur. Il pense que la peur est une dilection des faibles. Le président américain est loin du champ de bataille. Il est protégé par son statut du chef de l’Etat le plus puissant du monde. Lui non plus n’a pas peur.
Reste les gens simples qui n’ont aucun pouvoir et constatent chaque jour qui passe les effets collatéraux de cette guerre: tout augmente et tout devient rare.
Voici ce qui se passera dans un temps proche:
Ça commence avec le papier qui manque. Plus de journaux, plus de cartons, plus de papier toilettes. Toutes les informations passent par les écrans et réseaux sociaux. Même les livres sont vendus en version électronique.
Le blé, à son tour est difficile à trouver. L’Inde ne vend plus le sien.
La farine, les pâtes, le riz deviennent rares.
Les stations- services ont moins de pétrole à vendre. Le prix est exorbitant.
Les fourmis ne sortent plus de leur tunnel. Elles sentent que la planète est en danger. Les abeilles aussi désertent les champs de fleurs.
Les oiseaux ne chantent plus.
Peu à peu la guerre s’installe dans le quotidien des citoyens.
Pourtant nous ne sommes en guerre contre personne. Nous ne sommes pas habitués à vivre dans une telle austérité.
C’est ce qui nous attend si Poutine n’arrête pas sa guerre contre l’Ukraine.
Quoi faire pour que la Russie cesse de mettre la paix du monde en grand danger?
Son armée tue des civils, détruit des maisons, occupe des territoires et les Ukrainiens résistent avec l’aide des Américains et des Européens. Donc c’est une guerre entre la Russie et l’Amérique, entre la Russie et l’Europe.
Les Américains sont tranquilles. Ils envoient des armes et de l’argent et sont très loin des champs de bataille. Avant, ils envoyaient des soldats mourir en Afghanistan, en Irak. Cette stratégie est finie; elle s'est soldée par un grand désastre.
Les Européens font de même. Mais ceux qui vont payer les conséquences de cette guerre sont toujours les mêmes: les pays émergents comme le Maroc et les pays pauvres qui manqueront de blé, de pétrole et de gaz. Il est à craindre que des manifestations pour le pain aient lieu en Egypte, au Soudan et dans bien d’autres pays affectés par ces pénuries.
Poutine ne reculera pas. L’humilier ne sert à rien. Il ne lâchera pas l’Ukraine. Ne faudrait-il pas négocier avec lui pour lui donner l’impression qu’il a gagné et qu’il arrête ainsi cette guerre aux conséquences collatérales incalculables?
Pour qu’il accepte de négocier, il faut faire des concessions. Après tout, sous Staline, l’Ukraine faisait partie du grand empire soviétique. Dans «Terres de sang» (Gallimard, 2019), Timothy Snyder raconte comment quatre millions d’Ukrainiens sont morts de faim entre 1933 et 1945. Staline avait puni tout un peuple. L’horreur absolue.
L’Europe aurait pu être moins arrogante, moins radicale et composer avec Poutine dans des négociations où il n’aurait pas été humilié. Trop tard. Poutine est déterminé et n’écoute personne. D’où la peur. Notre peur.
De cette situation, se dégage un point positif: l’Algérie, soutenue et ayant un armement majoritairement russe, devrait réfléchir beaucoup avant de déclencher une guerre contre notre pays. Surtout que le Maroc, qui a eu une position de neutralité dans ce conflit, refuse d’entrer en guerre contre son voisin de l’est et considère que le peuple algérien est un peuple frère. Ce n’est pas l’exemple de la guerre contre l’Ukraine que l’Algérie des généraux devrait suivre. Mais écouter plutôt la voix de la raison, prendre la main tendue du Souverain et penser ensemble à construire un Maghreb fort qui saura résister aux conséquences de la guerre contre l’Ukraine –qui est loin d’être terminée.