Gaspillage

Famille Ben Jelloun

ChroniqueCe qu’on constate, c’est de plus en plus de gaspillage. Les commerçants en profitent pour augmenter leurs prix. Ceux qui sont aisés ne s’en rendent pas compte, mais les pauvres, eux, en souffrent cruellement. Le Ramadan devient la scène des inégalités dans notre société. Tel n’est pas le message de l’islam bien compris et bien pratiqué.

Le 11/04/2022 à 12h01

On se moque des Européens qui reçoivent chichement, sans excès, sans gaspillage. Par les temps qui courent, il nous faut changer nos habitudes et consommer avec modération. Faut en finir avec les superbes tables garnies comme si elles étaient destinées à toute une tribu. L’eau est rare. Le blé risque de devenir encore plus rare à cause de la guerre en Ukraine. Les fruits et légumes ont souffert de la sécheresse, et de ce fait ils se vendent très cher. Jamais le kilo de tomates et de poivrons n’ont atteint le prix actuel. C’est un exemple parmi tant d’autres.

Le temps de faire des économies est arrivé. Un reportage nous a montré que sur quatre pains, un va à la poubelle.

Comme on dit «le ventre est plus gros que les yeux», surtout en ce mois du Ramadan.

Ne faut-il pas revenir au sens premier du jeûne? Ce jeûne a pour principe plusieurs effets: en premier, reposer les intestins. Des stages de jeûnes sont organisés en Europe moyennant plusieurs milliers d’euros. Le corps a besoin d’abstinence et de repos.

Deuxièmement, le jeûne est un exercice qui vise l’esprit. On jeûne pour méditer et entrer dans la sphère d’une belle spiritualité, chose dont on a de plus en plus besoin en cette période de grande violence et d’incertitude.

Troisièmement, le jeûne est l’épreuve de la faim et de la soif ainsi que de l’abstinence sexuelle. Ce n’est pas énorme comme effort. Mais de temps en temps, c’est bon d’être dans le manque. Ce manque pourrait aider les fumeurs à arrêter définitivement de s’empoisonner les poumons. En France, le cancer du poumon, appelé aussi «le cancer du fumeur» emporte plus de 75 000 personnes par an! Je ne connais pas les statistiques marocaines, mais elles doivent suivre la même flèche. Il en est de même pour ceux qui ont une addiction à l’alcool.

En général, ces personnes s’arrêtent de boire quelques jours avant le début du jeûne. Elles reprennent leurs habitudes quelques jours après l’Aïd. En tout, cela fait une quarantaine de jours où leur foie se repose et n’est plus intoxiqué par l’absorption de tant d’alcool.

Enfin, le jeûne est ce retour sur soi, nécessaire pour continuer à vivre en harmonie avec ses valeurs. On met fin à la médisance, à la jalousie, à l’envie, à la tendance d’être tenté par le Mal.

En fait, si ces principes étaient tous respectés, ce mois sacré deviendrait le mois de la paix: paix avec son corps, paix avec son environnement, paix avec ses semblables.

Toutefois, le sens et les principes sont en général oubliés.

Ce qu’on constate, c’est de plus en plus de gaspillage dû en principe à l’angoisse de manquer. Les commerçants en profitent pour augmenter leurs prix.

Ceux qui sont aisés ne s’en rendent pas compte, mais les pauvres, eux, en souffrent cruellement.

Le Ramadan devient la scène des inégalités dans notre société. Tel n’est pas le message de l’islam bien compris et bien pratiqué.

C’est aussi l’agressivité qui s’exprime souvent au volant ou bien dans la rue. On rêve d’une société apaisée qui jeûne par conviction et par bonheur. Mais la pédagogie consistant à préparer les citoyens à un jeûne nécessaire et bénéfique, à ne pas confondre avec le seul fait de ne pas boire ni manger durant toute une journée, manque. Pourtant, certains théologiens font des discours dans les mosquées. Peut-être seraient-ils plus écoutés s’ils s’exprimaient simplement, dans une langue compréhensible par tous, sur une grande chaîne de télé?

Ainsi pour que ce mois de Ramadan soit un mois heureux, il faut:

- veiller à la lutte contre le gaspillage

- méditer sur soi

- penser aux autres qui vivent dans le manque toute l’année

- venir en aide aux nécessiteux

- garder son calme et cultiver une vision apaisée de la vie et de la religion.

Ce pourrait être le mois de la réconciliation et de la résilience. Un mois où la douceur de vivre l’emporterait sur l’agitation qu’on observe sur les marchés ou dans les rues surtout à l’approche du coucher du soleil.

Un ami médecin m’a confirmé que l’après-ramadan, est caractérisé par des consultations pour le diabète, le taux de mauvais cholestérol, le LDL (Lipoprotéines de basse densité), suivi par la tension artérielle qui monte, monte et menace de provoquer un Accident vasculaire cérébral (AVC). Donc, plus que jamais: ne pas oublier que ce mois est aux antipodes des excès.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 11/04/2022 à 12h01