Chère, la vie

Famille Ben Jelloun

ChroniqueTout a augmenté de manière phénoménale. Pour ceux qui en ont les moyens, cela ne veut rien dire. Pour les autres, et ils sont nombreux, ils souffrent. Cette cherté de la vie est une violence faite aux plus pauvres.

Le 28/02/2022 à 11h01

Ni la pandémie, ni la sécheresse menaçante ne sont des excuses pour l’envol des prix de consommation de base. Tout a augmenté de manière phénoménale. Les pâtes sont passées de 10 à 16 DH le kilo, Le gazoil et l’essence super ont augmenté d’au moins 15%, les fruits et les légumes ont pris le même chemin. Seule la sardine reste à la portée de toutes les bourses, mais il paraitrait que nos compatriotes ne la consomment pas souvent, alors qu’elle est excellente pour la santé. Cependant, tout le monde se plaint.

Pour ceux qui ont les moyens, cela ne veut rien dire. Pour les autres, ils sont nombreux, ils souffrent. La fermeture des frontières durant plus de deux mois a été une catastrophe sur le plan économique, car le tourisme génère un nombre important d’autres métiers, dont la plupart sont informels. La pauvreté a été vécue dans la chair, dans le corps de beaucoup de citoyens. Cette situation aurait besoin d’un électrochoc pour que la population puisse continuer à vivre, à respirer, à payer la scolarité de ses enfants, même quand ils sont dans l’école publique gratuite.

Le pouvoir d’achat est essentiel. L’actuelle campagne électorale en France se fait autour de trois thèmes: l’islam, l’immigration et le pouvoir d’achat. C’est dire l’importance d’un tel élément. Au Maroc, le gouvernement ne communique pas assez sur ce problème. Pourtant, il devrait s’y intéresser de plus près. Des solutions existent, comme par exemple baisser le taux de la TVA ou la taxe que perçoit l’Etat sur la vente des carburants.

Quand on sort avec quelques dizaines de dirhams en poche pour faire le marché, on compte chaque sou. Situation humiliante, intolérable. Je pense à cette population des marchands ambulants, à des petits métiers, à ceux qui vendent ce qu’ils peuvent pour nourrir leurs enfants.

Avant, on ne parlait pas de misère. Aujourd’hui, à entendre les gens qui se plaignent, la misère est là. La pandémie qui a bloqué tous les secteurs de l’économie a frappé en particulier les petits, ceux de l’informel. Le Marocain n’est pas «hitiste» (expression algérienne désignant les jeunes qui sont oisifs, le dos contre le mur). Le Marocain se débrouille toujours. Il a sa dignité, son imagination, sa volonté acharnée de trouver du travail. Il y a quelques cas de paresseux qui s’adonnent à la mendicité. Ceux-là sont mal vus par la population.

Cette cherté de la vie est une violence faite aux plus pauvres. Cette violence peut déclencher d’autres actions brutales et dangereuses, comme ce qu'il s’était passé quelques jours avant l’Aid al-Adha, où un camion de moutons avait été attaqué et pillé. Ces jours-ci, on m’a signalé l’attaque d’un camion transportant des tomates. Ce sont des actes désespérés qui ne devraient pas avoir lieu. Le gouvernement a tout intérêt à se préoccuper concrètement de la situation de la vie des gens qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Je sais qu’une réunion au plus haut niveau a eu lieu pour prévenir les dégâts de la sécheresse. Mais ne faut-il pas s’occuper de ceux qui se trouvent aujourd’hui dans une situation intolérable où tout a augmenté dans des proportions choquantes.

Où sont les partis politiques? Où sont les syndicats? Qui rapportera les paroles de ceux qui sont absolument démunis et qui, par dignité, se retiennent et ne cèdent pas à la violence et au pillage?

Tout le monde doit être conscient de la situation et devrait faire un effort: les producteurs, les commerçants, et aussi le gouvernement, qui pourrait exceptionnellement augmenter les subventions des matières vitales et aider les producteurs à baisser leurs prix. Cela se passe dans l’esprit de la solidarité nationale. Pour une fois, et sans démagogie aucune, faire participer les grosses fortunes de ce pays à venir en aide aux plus pauvres devient une nécessité.

J’évoque souvent le cas formidable de Bill Gates et ses quarante milliardaires. Ils ont compris, à l’échelle de la planète, que céder la moitié de leur fortune pour des causes humanitaires bien ciblées et contrôlées, ne les priverait en rien dans leur vie où l’argent abonde. Nous avons au Maroc quelques milliardaires, connus, d’autres se faisant discrets. Les solliciter serait légitime. D’autant plus que leurs milliards en euros, ils les ont faits souvent en terre marocaine, avec une main d’œuvre marocaine.

Un peu de justice et de solidarité en ces temps difficiles générés par la pandémie et la sécheresse serait exemplaire et fera du Maroc, un pays émergent, une nation responsable et profondément humaine. 

Par Tahar Ben Jelloun
Le 28/02/2022 à 11h01