J’ai entendu l’autre jour des inconscients dire «c’était mieux avant! Au moins il y avait de la sécurité et on ne se faisait pas cambrioler dès qu’on avait le dos tourné!».
Ce discours est stupide. Avant, c’était un autre Maroc, un pays vivant sous une immense chape de plomb. Les libertés étaient surveillées. Les opinions divergentes réprimées. On allait en prison pour «délit d’opinion». Les rares journaux indépendants jonglaient avec les contraintes de la censure. Dans ce Maroc-là, on ne respirait pas bien. Il vaut mieux oublier cette époque et sa brutalité.
Aujourd’hui, cela ne nous avance pas de faire des comparaisons. Non seulement beaucoup de choses ont changé (en mieux) mais on peut aussi reconnaître que certains de nos travers se sont développés et se sont répandus. La corruption en est l’exemple le plus évident. Avec la liberté d’entreprendre, avec le développement économique, le fait de corrompre a pris une grave ampleur. Curieusement, avec la modernisation des infrastructures du pays et les avancées en matière de liberté, nos défauts, eux aussi, ont grandi et se sont aggravés.
A partir du moment où l’école publique et la santé publique sont défaillantes et qu’une partie des citoyens est obligée de s’adresser au secteur privé, lequel est payant, c’est un début de légitimation de la corruption qui se dessine. Quand on en a les moyens, la question ne se pose pas, mais quand on est un petit fonctionnaire ayant un salaire juste suffisant pour ne pas crever, il faut trouver l’argent ailleurs. Le système devient pervers et on le tolère.
La sécurité du pays est entre de bonnes mains. La lutte contre le terrorisme est d’une grande efficacité. Les services de la DGST démantèlent très souvent des cellules préparant des attentats.
La sécurité du citoyen, celle des agressions, vols, cambriolages, n’est hélas pas toujours assurée. Le civisme est rare, quasi-absent dans le comportement des citoyens. D’où une violence arrogante; on ne craint plus la police ni la justice, surtout à partir du moment où l’on sait qu’on peut «les acheter».
Cette situation inquiétante serait le résultat des frustrations de l’époque. La faillite de l’éducation, que ce soit à l’école ou dans les familles, le chômage touchant presque 40% des jeunes, le manque d’effectifs de la police, l’absence d’autorité font que la violence s’est banalisée. Le fait par exemple que des criminels continuent de lancer des grosses pierres sur des voitures pour les arrêter et cambrioler leurs occupants, est surprenant, rappelant l’époque des coupeurs de routes et des barbares qui s’en prenaient aux voyageurs.
Les attaques à main armée contre des femmes et des hommes dans la rue en plein jour se sont multipliées. Munis de sabre, des individus s’attaquent aux gens comme si nous étions dans le pays du non droit.
Autre problème qui n’existait pas dans l’autre Maroc: l’islamisation des esprits qui se traduit dans certains cas par des interventions directes dans la vie privée des autres. Avant, l’islam était vécu paisiblement. Nos parents et grands-parents n’en faisaient pas trop avec le fait religieux. Aujourd’hui, l’islam est devenu une identité et une idéologie menaçant en particulier les femmes qui ont choisi de vivre librement.
Derrière cette islamisation apparente, il y a une islamisation politique qui ne néglige aucun pan de la société. L’idéologie des Frères musulmans est à l’œuvre.
Avant ce n’était pas mieux, c’était différent. Le Maroc a gagné en liberté, ce qui s’est malheureusement accompagné de plusieurs formes de délinquance.
Chaque étape dépend de son contexte historique. Aujourd’hui, les démocraties anciennes virent assez facilement vers le populisme, le racisme et l’intolérance.
Il arrive que ces démocraties accouchent d’aberrations, comme aux Etats-Unis et au Brésil.
C’est dans ce contexte global qu’il faut situer le Maroc de l’incivisme, de la violence et de l’arbitraire, lequel a largement profité des libérations que la nouvelle ère a autorisées. Au fond, les racines de notre drame se trouvent dans le manque pour ne pas dire l’absence totale d’éducation. Que ce soit hier ou aujourd’hui, malgré les transformations immenses sur le plan des infrastructures, malgré la croissance économique et des avancées importantes dans le domaine des libertés, le Maroc souffre des mêmes maux: absence de civisme, oubli des valeurs et principes, manque de solidarité et individualisme exacerbé.
Pas la peine de regarder le passé avec nostalgie. Ce serait une erreur, car comme dit Léo Ferré, «la nostalgie, ce sont les souvenirs qui s’ennuient». C’est simplement faire fausse route.