L’écrivain et chroniqueur algérien Kamel Daoud a décidé de ne plus s’exprimer dans la presse. Violemment pris à partie par des intellectuels maghrébins pour avoir critiqué le comportement inadmissible de certains migrants nord-africains la nuit de la Saint Sylvestre à Cologne, il a réagi d’une manière qui ne fait pas avancer le débat. Des femmes ont été harcelées, puis agressées . Elles ont porté plainte et l’affaire a fait grand bruit au point où Angela Merkel a décidé d’expulser des milliers de Marocains. Tous ne sont pas coupables de ce qui s’est passé, mais des agresseurs sont parmi eux.
On a reproché à Kamel Daoud de susciter, par ses critiques acerbes, de l’islamophobie dans les milieux européens. Il faut juste rappeler que les Européens n’ont pas attendu l’article de Daoud pour exprimer leur ras-le-bol de l’islam et des musulmans, qu’ils soient radicalisés et prêts à partir faire le jihad ou des gens paisibles qui ne font pas de bruit et ne dérangent personne.
Kamel Daoud n’a fait que constater un état de fait : il y a de la frustration doublée d’un malaise certain dans les rapports de l’homme et de la femme dans la société maghrébine. Ce constat, Germaine Tillion l’avait déjà étudié et expliqué dans «Le harem et les cousins», ouvrage qui m’avait éclairé quand je travaillais ma thèse sur la misère affective et sexuelle des travailleurs nord-africains en France («La plus haute des solitudes» Seuil ; 1977). Les interdits, les tabous et pas mal d’hypocrisie sociale ont installé dans cette relation homme/femme violence et frustration.
Depuis que la presse marocaine, papier et sites web, a décidé de rapporter les faits-divers, il n’y a pas un jour sans que des actes d’agression à caractère sexuel ne soient portés à la connaissance du public. Avant, on n’en parlait pas. Il ne fallait pas donner une mauvaise image du pays. A présent on a compris que la société maghrébine est comme les autres, diverse et semblable, traversée de violence prenant différentes formes.
Kamel Daoud a fait son travail d’écrivain, celui d’être le témoin de son époque et de sa société. L’écrivain n’est pas là pour enjoliver la réalité ni pour la masquer ou la voiler. Au contraire, il est celui qui lève le voile sur les tabous, sur les hypocrisies, sur les mensonges et les impostures. On sait que l’état de félicité, le bonheur et la paix ne sont pas des ingrédients stimulants pour un écrivain. Au contraire, le fleuve tranquille et les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent pas le public. Le romancier est celui comme le définit Balzac «qui fouille sa société». Fouiller, c’est parfois mettre les pieds dans les plats et désigner ce qui est nauséabond dans une société, car l’humanité n’est pas parfaite et, le serait-elle, l’écrivain découvrirait ses failles et ses vices.
L’islam est un sujet difficile. Avant, du temps où cette religion ne faisait pas les manchettes des journaux, on en parlait paisiblement, avec respect et calme. Aujourd’hui, depuis qu’elle a été détournée pour devenir de l’islamisme, toucher à l’islam et aux comportements de certains musulmans devient systématiquement un problème, voire un danger qui, comme dans le cas de Daoud pourrait susciter une fatwa qui pourrirait la vie de tous les intellectuels.
Doit-on se taire ? Doit-on fermer les yeux et, sous prétexte que tout commentaire acerbe créerait de l’islamophobie, on tourne la page et on parle de l’état dépressif des animaux domestiques ? Le rôle et le devoir d’un écrivain appartenant à la sphère arabo-musulmane, c’est d’exercer son esprit critique et ne reculer devant aucune pression ou menace. Encore faudrait-il que l’Etat assure sa sécurité.
Alors, cher Kamel Daoud, je sais que vous allez écrire des livres. Je sais que vous n’êtes pas islamophobe mais libre, comme vous l’avez récemment déclaré. Mais vos chroniques nous manquent car, même si je n’étais pas toujours d’accord avec vous, je les appréciais et les faisais partager avec plaisir et fierté.