Le week-end dernier, lors d’un débat à Marrakech, un jeune Sénégalais me demanda s’il fallait de l’imagination pour devenir écrivain.
– Ça aide, lui répondis-je, mais ce n’est pas nécessaire. Il faut surtout ouvrir les yeux et les oreilles. Le monde nous fournit chaque jour son lot d’histoires drôles ou affligeantes, toujours étonnantes, souvent instructives.
À titre d’exemple, je lui donnai cette histoire qui s’est déroulée il y a quelques années aux Pays-Bas et qui a l’air d’un scénario sorti du cerveau fertile d’un écrivain alors qu’elle est 100% authentique.
Il s’agit d’un jeune Marocain des environs de Tilburg qui fait les 400 coups pendant son adolescence –un carreau cassé, des petits larcins par ci, par là…– puis qui passe à la délinquance puis, carrément, aux braquages. Comme il est très habile, la police ne réussit pas à l’arrêter. Son signalement est diffusé chaque fois que des caméras de surveillance arrivent à capturer son visage mais lesdites caméras ne sont pas en haute définition et puis, n’est-ce pas, tous les Marocains se ressemblent aux yeux de ceux qui ne les portent pas dans leur cœur… Bref Abderrahim –appelons-le ainsi–, c’est comme Arsène Lupin, Vidocq ou le Mouron rouge: toutes les brigades de police sont à ses trousses mais en vain.
Et puis, un jour, miracle, Abderrahim rencontre lors d’une fête familiale une jeune Lamia, douce et romantique comme toutes les Lamia. Il tombe amoureux, elle aussi– je vous disais bien qu’elle était romantique. Les deux tourtereaux décident de se marier et de fonder une famille. Mabrouk. Alf mabrouk!
Abderrahim dit adieu à sa carrière de brigand et le voici en quête d’un métier honnête. Le problème, c’est qu’il a le niveau bac - 4 et qu’à part ses muscles, sa moustache et sa débrouillardise, il n’a pas beaucoup d’atouts pour entrer chez Philips, Shell ou dans un moulin. Il cherche, il cherche mais ce n’est pas évident.
Finalement, ô joie, ô bonheur, Abderrahim trouve dans le journal l’annonce providentielle. C’est un métier stable et honnête: gardien de prison.
Aïe. Il est, répétons-le, recherché par toutes les polices du royaume. No problemo, se dit notre ami: il prend les papiers de son frère, passe les entretiens d’embauche ainsi que les tests physiques (il est fort, le bougre) et le voici promu gardien de prison dans la bonne ville de Breda –où tous les flics ne cherchent que lui. Et c’est ainsi qu’il passe cinq ans de tranquillité absolue, vêtu de son bel uniforme de maton.
Entre nous, le dernier endroit où la police irait chercher un malfrat en cavale, c’est en taule, non? Deux mignonnes petites filles naissent au foyer de Abderrahim et de la douce Lamia, Dieu est grand, le ciel est bleu, il pleut des nounours.
Et puis, ce qui devait arriver arriva: un des bandits sur lesquels veillait Abderrahim le reconnut. “Bon sang, mais c’est… !” Il, le prisonnier, se souvint qu’il avait braqué quelques banques avec Abderrahim, jadis et naguère. Et il le fit chanter: tu m’aides à m’évader ou j’te dénonce, mon z’ami!
Abderrahim, la mort dans l’âme, se résolut à se dénoncer lui-même à la police qui le fourra d’autor’ dans une cellule de sa propre prison. La justice tint compte des années où il avait été son fidèle auxiliaire et le condamna à une peine pas trop lourde. Lamia vint régulièrement lui rendre visite au parloir, plus douce que jamais, se tapotant l’œil humide d’un mouchoir brodé. Ah la vie, ah l’humanité…
Comme dit plus haut, je racontai cette histoire lors d’un débat pour montrer que la réalité dépasse souvent la fiction et que l’écrivain n’a qu’à bien regarder autour de lui pour trouver l’inspiration. Mais mon interlocuteur en tira une toute autre conclusion: entre un honnête homme et un forban, il n’y a parfois que l’épaisseur d’un uniforme.
Sa remarque me rappela la question que posait Juvénal il y a deux mille ans (Sed quis custodiet ipsos custodes? Mais qui garde ces gardiens?) et qui résume le problème fondamental de la politique.
Allez, arrêtons ici cette chronique avant de nous faire arrêter par la force publique pour outrage à magistrat…