Il y a quelques semaines, je suis allé me promener avec des amis dans la fameuse ‘vallée heureuse’ des Aït Bouguemaz, dans l’Atlas. Nous avions loué une camionnette à Beni Mellal et nous chantions à pleins poumons des refrains de colonie de vacances sur la route escarpée. Des adultes qui retrouvent leur âme d’enfant, c’est amusant et émouvant– il suffit d’une camionnette, d’une route dans la montagne et la perspective d’un week-end de détente et de découvertes.
En chemin, nous nous arrêtâmes à Azilal pour y déguster un couscous, puisque c’était vendredi. En déambulant dans cette jolie petite ville, nous passâmes devant un superbe bâtiment qui était hermétiquement fermé. Intrigués, nous demandâmes à un quidam assis là si c’était une mouqata’a new look ou la demeure de Richard Branson.
- Que nenni, nous répondit le quidam en tamazight, c’est la maison du dinosaure.
Boum! Le mot magique était lâché. Notre groupe de professeurs était, je l’ai dit, retombé en enfance dans la camionnette brinquebalante et voilà qu’il retrouvait, sur le plancher des vaches, le vert paradis des amours enfantines– ou plutôt le jurassique parc des obsessions mômesques, car qui n’a pas été obsédé par le Tyrannosaurus rex ou le Brachiosaure n’a pas été mouflet(te). Nous remîmes le couscous aux calendes berbères et décidâmes illico de visiter le musée. Hélas, triple hélas, nous informa le quidam en burnous, l’endroit était fermé– plus étrange encore: il n’avait jamais ouvert. Achevé en 2015, jamais ouvert.
Qui n’a pas vu vingt mâchoires choir n’a rien vu. Nous étions bouche bée, estomaqués. Un si beau musée, dans une ville où il n’y a rien d’autre– cela dit sans vouloir désobliger personne– et il est fermé, mesdoud, closed, cerrado, chiuso, gesloten, geschlossen? (Je le dis dans toutes les langues dans lesquelles de nombreux touristes ont dû exprimer leur déception).
Eh bien, non. Nous décidâmes d’entrer voir le dino. Nous utilisâmes des méthodes dont je ne peux rien dire ici– sinon mes amis de la gendarmerie n’auront d’autre choix que de me convoquer pour m’interroger, parce que lesdites méthodes n’étaient pas tout à fait licites. Disons, sans élaborer, qu’elles mirent en œuvre une échelle, une pince-monseigneur, un levier, une prière, un tabouret blanc, une vis d’Archimède et une poignée de zlotys.
Et nous voilà dans l’endroit, avançant à pas de loup, réprimant nos exclamations enthousiastes pour ne pas alerter la maréchaussée d’Azilal, les yeux exorbités. Quelle merveille, mes aïeux! Un joli parcours, illustré et très didactique– l’Histoire de la Terre, l’apparition de la vie, la tectonique des plaques, etc.– et puis, à la fin du parcours, une splendide salle circulaire au milieu de laquelle trône l’immense squelette d’une sorte de diplodocus– et voici le plus extraordinaire: c’est le seul dinosaure totalement intact dans le monde entier. D’ordinaire, on trouve un orteil et une dent de Barosaurus et on reconstitue l’animal avec des moulages en plastique. À Azilal, c’est tellement inouï que je vais le dire en anglais pour que tout le monde comprenne: it iz ze ounly complite skeletonne of a dino in ze whole weurld!
Nous sortîmes de l’endroit par les égouts, complètement sonnés. Oublié, le couscous! Sur le chemin de la vallée heureuse, nous ne chantions plus, nous essayions de comprendre, comme il sied à un essaim de profs.
Nous n’avons toujours pas compris.