Le week-end dernier, c'était le Maghreb des Livres à Paris. Auteurs, éditeurs et lecteurs se retrouvaient dans les salons de l’Hôtel de Ville. Ce fut l’occasion pour les uns et les autres de flâner, de faire connaissance, de bavarder –je ne dirais pas “d’échanger”, expression qui constitue un solécisme puisqu’il s’agit d’un verbe transitif, nom de D…! Ce qui fait que quand quelqu’un me dit:
– J’aimerais bien échanger avec vous.
… je ne réponds pas, j’attends la suite. Échanger quoi? Des plaisanteries, des scoubidous, des gnons? Depuis quand ce verbe est-il devenu intransitif?
Mais je m’égare.
Donc Paris, le Maghreb des Livres. Une dame, l’air un peu rêveur, s’approche de la table où je signe mes dédicaces, attend le moment opportun puis, après s'être présentée, elle me raconte une aventure qu’elle a récemment vécue à Marrakech.
– Ayant fait l’acquisition d’une petite maison dans la Ville ocre, je devais faire entrer l’électricité, comme on dit. Je me suis donc présentée à l'administration concernée où l’on m’a reçue comme si j’avais demandé l’adresse du dernier Abencérage.
– C’est-à-dire?
– C’est-à-dire qu’ils semblaient ne rien comprendre à ma demande. “Vous avez la magana? Alors, c’est pas nous, il faut aller à Gueliz.” Euh… “Pardon? Vous n’avez pas la magana? Eh bien, c’est toujours pas nous, il faut aller là-bas, en face, tourner à gauche et aller à la … (Suit un sigle incompréhensible.)” Bref, je m’irrite un peu, je hausse la voix, ils m’envoient promener et me voilà dans la cour, complètement déboussolée.
– La magana, c’est le compteur?
– Oui. Bref, je ne sais que faire quand soudain…
Assis sur ma chaise, je tends l’oreille, j’aime bien les histoires où il y a un “quand soudain…”
– … une sorte de planton en uniforme couleur puce s’approche de moi.
– Qu’as-tu donc à bayer aux corneilles, ma sœur? me susurre-t-il d’une voix sucrée.
Je ne comprends pas pourquoi un simple planton s'intéresse à mes aventures mais mon désarroi est tel que je lui déballe toute l’affaire –qui n’est finalement pas très compliquée. Il hoche la tête, l’air mâle, l’air du type qui sait; puis me glisse:
– Ne t’en fais pas, ma sœur, je vais régler tout ça.
Il entre dans les bureaux comme d’autres envahissent la Pologne et en ressort avec de la paperasse qu’il étale sur son genou et qu’il remplit lui-même –tiens, il sait écrire– en me posant quelques questions; puis il me fait signer le document et me demande si j’ai ma carte nationale.
– Je vais la photocopier et je reviens.
Ce qu’il fait. Qui garde les lieux pendant son absence? Son ombre, peut-être; ou les sept saints de Marrakech? Le voilà de retour.
– Donne-moi ton numéro de portable. Je t’appelle demain à 11.00.
Un temps.
– Plus ponctuel qu’un chef de gare allemand, H’mida –car tel est son nom, il me l’a révélé avec une fierté bien légitime– H’mida me rappelle le lendemain à 11.00. Il me demande de repasser avec 1200 dirhams. Mon affaire est réglée. Effectivement –vive H’mida!– ils m’ont fait entrer l'électricité et je peux donc éclairer ma maison quand j’y vais en vacances et mater des turqueries à la télé.
La belle évaporée fait une pause, promène un regard mélancolique sur la profusion de marbres et de dorures qui ornent ce beau salon de l’Hôtel de Ville. Puis elle soupire et me dit:
– Tout est bien qui finit bien. Mais avons-nous vraiment besoin de tous ces H’mida? Ne serait-il pas plus simple que chacun fasse son travail correctement? Ne pourriez-vous pas poser la question à vos lecteurs du 360.ma?
Dont acte, amis lecteurs. Dont acte.