«Le chemin vers l’enfer est pavé de bonnes intentions». Voilà une maxime qu’il ne faut surtout pas prendre à la légère, notamment quand il s’agit de politique. Là où l’erreur pardonne rarement, là où l’erreur se paye cash et dont les conséquences peuvent prendre plusieurs générations avant de s’estomper dans le meilleur des cas, ou prendre racine, dans le pire.
Et s’il ne fallait retenir qu’une dimension de la société comme étant la plus primordiale de toutes, peu d’entre nous s’offusqueront si le choix se porte sur l’éducation, dont l’étymologie renvoie au latin «Educatio», soit le fait d’élever et de former.
C’est elle qui en partie prend le relais de la famille et de l’environnement immédiat pour former notre rapport au monde, notre langue et langage, notre structure mentale, nos affects et notre place dans la société.
C’est elle qui nous élève vers l’universel mais qui, en même temps, nous enracine dans notre singularité.
Or, transmettre un savoir ne relève pas d’une simple technique ou méthode, bien que notre époque en foisonne, de la méthode «Montessori» à la «Steiner» en passant par «Freinet», mais relève avant tout d’une sagesse qu’on nomme «pédagogie». Cette dernière me semble être davantage innée qu’acquise. Cet amour autant de la connaissance que de l’autre, relève du don ou du tempérament diront certains. Un don, qu’on peut sacrifier sur l’autel d’une carrière lucrative là où la pédagogie n’a pas forcément sa place, ou le mettre au service de la communauté, au risque d’en souffrir, ingratitude et dévalorisation symbolique oblige.
Y a-t-il donc un âge pour transmettre et pour élever notre prochain?
Le gouvernement semble avoir tranché: moins de 30 ans.
«L’âge maximum requis est fixé à 30 ans afin d’attirer des candidats jeunes dans la profession enseignante, dans l’objectif de s’assurer de leur engagement durable pour l’école publique et d’investir dans la formation et le développement de leur parcours professionnel». Un argumentaire qui parle d’«engagement durable» et d’«investissement» là ou, peut-être, aurait-il mieux valu mettre en exergue la vocation et l’amour du métier.
Quant aux psychologues, ces derniers nous disent que l’âge de la sagesse se situe entre 50 et 60 ans. Fouillez au fin fond de vos souvenirs, et vous trouverez peut-être que les professeurs qui nous ont le plus marqués avaient cet âge, sinon d’avantage. Mais il est tout aussi vrai qu’ils n’ont point commencé à enseigner à cet âge, que c’est le fruit d’un vécu, d’un parcours et d’une expérience de vie au contact des livres, mais avant tout des élèves.
Mais, car il y a souvent un «mais» dans le «mais», combien d’entre eux ont commencé précocement à enseigner pour achever leur carrière en tant que piètre enseignant, cachés derrière les hautes murailles du corporatisme et du syndicalisme? Combien d’entre eux ont enseigné précocement et toute leur vie avec autant de détachement vis-à-vis de leurs élèves qu’un boucher vis-à-vis d’une carcasse posée sur son étal?
Car oui, le commencement est important, mais le devenir compte aussi, comme le dit Régis Debray. Il en résulte que la jeunesse d’un enseignant n’a de sens que si elle est transcendée par une vocation et un don. Une vocation sur laquelle le temps n’a pas de prise ni d’emprise. Une vocation qui n’a pas d’âge spécifique.
Car combien d’entre nous se sont détournés ou ont renié par la force des choses et les contraintes du réel leur vocation pendant des années avant de la retrouver, avant de se retrouver soi-même, et décider enfin d’en faire sa vie, à 30, 40 ou 50 ans?
Cette décision gouvernementale n’a-t-elle pas été prise par quelqu’un ayant plus de 30 ans? Au Maroc nous n’en sommes pas à un oxymore près.
Quant à la pertinence de cette décision, seul l’avenir nous le dira, pour le meilleur ou pour le pire.