Maroc-Espagne: le bal des hypocrites

DR

ChroniqueCe qu’on appelle de l’autre côté du détroit, avec une fausse naïveté sidérante, une «divergence en matière de politique extérieure», est pourtant une affaire évidente de souveraineté. Si l’Espagne a la sienne à défendre, celle du Maroc ne compte-t-elle pas?

Le 05/06/2021 à 11h00

Dans le monde grec, «Hypocritès» est un acteur de théâtre qui donne la réplique, feint les intentions et les sentiments, raconte un mythe ou le chante, mime un rôle en portant le masque…

Et c’est à un bal des hypocrites que nous convie l’actualité, autour de la crise Maroc-Espagne, telle que commentée par certains politiques ou scribes de différents médias et telle que formulée dans les discussions sur les réseaux sociaux de la plume de citoyens lambda.

Tout y est: le travestissement et le maquillage des faits, depuis l’entrée du chef séparatiste sous le sceau du secret avec des documents falsifiés, jusqu’à son exfiltration le soir même de son simulacre de procès.

Dans cette pantalonnade et parodie, le droit et la dignité des victimes furent bafoués; et l’exécutif, complice d’une déroutante indulgence comparativement avec d’autres cas où la justice, investie d’une compétence universelle en matière des droits de l’Homme, avait fait montre de célérité et de liberté de mouvement.

Illustration: l’affaire du dictateur chilien Augusto Pinochet. A la différence de taille que celui-ci était un chef d’Etat et non le pantin d’un groupuscule fantoche téléguidé.

Le rideau a eu au moins le mérite d’être levé et la supercherie dévoilée: plus besoin de se cacher derrière l’illusion de la neutralité. Voilà l’ancien espion à la solde de Franco (et c’est la presse espagnole qui le dit, matricule à l’appui!) envoyé comme un colis encombrant chez son parrain algérien.

Instrument de la machine de guerre des généraux contre l’intégrité du Royaume, il dévoile de prime, sur scène et plus seulement dans les coulisses, un autre soutien.

Malgré les tentatives de faire diversion en braquant le projecteur sur l’immigration, à l’aide d’images cathartiques maniant l’émotion, chauffant au passage les rangs populistes les plus tonitruants, le fond de l’affaire n’en reste pas moins la position hostile sur le Sahara. 

On passe outre les larmes de crocodile versées sur le sort des migrants (qu’ils veulent bien pleurer à condition de les maintenir loin de chez eux!) pour s’arrêter sur un autre ingrédient de cette farce qui est le double jeu.

Ainsi donc, l’Espagne veut que le Maroc sécurise ses frontières au sud mais soutient une milice armée qui menace d’embraser la région.

Ce qu’on appelle de l’autre côté du détroit, avec une fausse naïveté sidérante, une «divergence en matière de politique extérieure», est pourtant une affaire évidente de souveraineté. Si l’Espagne a la sienne à défendre, celle du Maroc ne compte-elle pas?

Comment un Etat qui brime ses indépendantistes peut-il décemment soutenir des séparatistes chez le voisin?

Que dire aussi de la petite exhibition de bombage de torse de la mission aéronavale de l’armée espagnole à proximité de l’îlot occupé de Nekkor face à Al-Hoceima! Si l’approvisionnement vertical du fort est courante par l’Armada, la médiatisation au paroxysme de la tension, ne laisse aucun doute sur une opération qualifiée par Madrid de «soutien des places de la souveraineté nationale en Afrique du Nord».

Au final, le problème est là. La crise n’est pas migratoire, elle est coloniale et postcoloniale.

Nous n’avons pourtant entendu aucune voix, émanant des habituels chantres de la liberté (à géométrie variable) pointer les aberrations d’une occupation, justifiée même, quand par ailleurs l’Espagne revendique Gibraltar.

Entrent en scène, en plus de l’hypocrisie, les préjugés, l’ignorance, l’indifférence non seulement pour ce qui se joue de l’autre côté de la Méditerranée mais des perceptions de ses populations ou de leurs sentiments.

On cherche vainement les valeurs d’universalité pour buter sur un eurocentrisme étriqué, produit de siècles de conditionnement qui déforme la compréhension du passé et du présent.

Exemple: ce qui est présenté comme de «Grandes découvertes européennes» porte son lot de tragédies et de bouleversements depuis leur genèse jusqu’à leurs prolongements.

En 1415, le Maroc qui existait déjà depuis plusieurs siècles comme Etat-nation, subissait durant la décadence de la dynastie mérinide, le contrecoup de la Reconquista.

Sebta est prise par une armée de 50.000 hommes par le roi de Portugal João Ier, poussant à l’exil ses populations et la confinant à un rang de ville-garnison.

Son successeur Duarte Ier échoua devant Tanger dans une expédition soldée par l’emprisonnement du corps expéditionnaire et le maintien en otage de l’infant Fernando en contrepartie de la libération de Sebta.

Cette restitution semblait inconcevable, même du côté du pape Eugène IV qui est allé jusqu’à l’excommunication dans la bulle Etsi Cunctos soulignant le rôle de la cité, «la seule ville qui confesse le nom de Jésus-Christ en Afrique, troisième partie du monde».

En 1458, Alfonso V, surnommé depuis, «l’Africain», s’empare de Qsar Sghir. Dix ans plus tard, c’est le tour d’Anfa. En 1471 tombèrent Asilah, puis Tanger. Les Portugais poursuivent leur marche conquérante avec les prises successives de Brija en 1502, suivies de Mogador, Safi, Aguz, Fonti, Azemmour….

Sur la côte méditerranéenne, les Espagnols occupent au Maroc, en 1497, Melilla, restée parmi leurs possessions jusqu’à nos jours. Le traité signé en 1494 à Tordesillas entre les représentants des souverains espagnols et portugais sur le partage du monde, avec la bénédiction du pape Alexandre VI, avait décidé pour le cas du Maroc, le droit de conquête au Portugal, alors que les îles Canaries étaient accordées à la couronne espagnole ainsi que les territoires situés à l’est de Badis.

Qui dit occupation, dit payement de lourds tributs, razzias, massacres, esclavage, destructions de vestiges musulmans, exils des populations, dépeuplements et désurbanisations, perturbations des échanges traditionnels et des courants commerciaux...

Des villes et localités disparurent des cartes ou subirent les contrecoups de l’occupation. C’est le cas de Ghissassa à l’ouest de Melilla ou de Badis, port d’envergure jadis, relié par une allée de sable à une île, occupée en 1564 pour rester jusqu’à nos jours sous la domination des Espagnols qui l’appellent, Peñón de Velez de la Gomera, par déformation de son nom autochtone et de celui de la tribu amazighe des Ghomara.

Si le Maroc est parvenu à chasser les occupants sous les règnes des Saâdiens et des Alaouites, Sebta, Melilla et les îles sont restées aux mains ibères, malgré plusieurs assauts et sièges (dont celui de 27 ans pour Sebta par le sultan Moulay Ismaïl, sachant qu’elle était passée entre temps aux Espagnols à la suite du désastre de la bataille des Trois Rois).

Avec l’avènement de l’ère impérialiste et coloniale, les appétits s’aiguisent dans toutes les directions, imposant des tracés arbitraires à tout va, servis toujours par des approches eurocentrées cultivant le mythe d’un territoire sans maître, terra nullius et éden vierge où la propriété aurait été inconnue, assimilant le concept d’Etat-nation à un fait européen et daignant accorder aux autres, des tribus et clans, bons à être découpés sous la supervision des «Blancs».

Qu’importent pour eux les histoires des peuples avant leur intervention, les spécificités culturelles, la structure particulière de leur Etat, le pacte de la Beï'a au Sultan, élément capital dans le système politique marocain et socle unificateur de la Nation! Le Maroc a d’ailleurs présenté à la Cour Internationale de Justice les documents relatifs à ces liens juridiques qui l’unissent au Sahara et tous types de documents dont des actes internationaux constituant la reconnaissance historique de sa souveraineté par d'autres Etats.

Bref, ceux qui, dans un horripilant complexe de supériorité, ont osé écrire sans rougir que «le Maroc s’est enhardi» (entendu, depuis le soutien américain), doivent réaliser que cette cause est sacrée pour tout Marocain et que le monde, pas seulement le Maroc, amorce un changement. Toussez en Chine et la planète entière s’en trouve grippée!

Tracer les chemins d’un véritable universalisme reste, pour tous, le meilleur dénouement.

Par Mouna Hachim
Le 05/06/2021 à 11h00

Bienvenue dans l’espace commentaire

Nous souhaitons un espace de débat, d’échange et de dialogue. Afin d'améliorer la qualité des échanges sous nos articles, ainsi que votre expérience de contribution, nous vous invitons à consulter nos règles d’utilisation.

Lire notre charte

VOS RÉACTIONS

ضربني وبكى سبقني و شكى

Excellente synthèse qui met à nue toute cette hypocrisie néo coloniale. Bravo madame pour avoir trouvé les mots justes sans concessions. Votre article est précieux. Ce n'est qu'une question de temps pour que le Maroc libère ses terres, l'injustice n'est pas éternelle. Les puissance quand elle s'habille d'arrogance mène toujours à la décadence. A bon entendeur,

Quelle clarté et quelle éloquence .. Très beau développement...

Bravo.Nous sommes fiers de toi Mouna.

Article en vrai plaidoyer, qui met à nue l' hypocrisie des Européens dans leurs relations avec les autres pays, en l' occurrence le notre. Excellent article qui suscite l' admiration et force le respect.

Article qui suscite l' intérêt et force le respect

Les bou rekha 'le déchirer cousu'espagnole comme ont dits dans le nord du maroc n'a jamais digérer les 800ans de règne arabo musulmans

Bel article 👌

Les espagnols nous ont eu à plusieurs reprises,notre naïveté sur certains dossiers et sans pareille ,très souvent on associe nos relations de bon voisinage à la politique ! Nos partis politiques ont précipité le départ du Maroc des américains qui sont partis installer leurs bases en Espagne ,grave erreur historique ,la présence des États Unis en Afrique du Nord aurait complètement changé la donne dans nos relations avec l’Europe .Nous aurions bénéficié à l’époque de l’installation du réseau autoroutier gratuitement, comme ce fût le quand en Espagne et nous aurions fait l’économie d’achat d’armement. Le peuple marocain est rarement consulté dans la prise de décisions majeurs même si il en subi parfois les graves conséquences .

SALAM un sens faute,un plaisir à lire

Un vrai bal où les masques doivent tomber!C'est quoi l'Espagne sans l'UE.Encore un grand bravo pour cette analyse.

Merci Madame pour ce flashback sur l'histoire coloniale et son impact qui se fait sentir jusqu'à nos jours. L'espagne soutenue par l'europe continuent sur leur politique méprisante et arrogante en vers les pays africains. Il est temps pour le Maroc de se libérer et de chercher des nouvelles alliances hors Europe. Des partenaires retournés vers l'avenir, vers le développement et le partage. L'anglais doit être privilégiée comme langue mondiale de business, de la recherche scientifique et sociale.

@ Maghrib; La langue n'est qu'un instrument. L'essentiel est le contenu de la formation. La plupart des anciennes colonies britanniques ,qui ont portant l'anglais comme langue d'enseignement, sont dans une situation économique et sociale lamentable. De plus, dans le domaine de l'enseignement, on ne bascule pas du francais à l'anglais par un simple claquement de doigts.

Je suis d'accord avec vous, il faut que l'anglais remplace le français qui ne sert quasiment à rien contrairement à l'anglais privilégié dans le monde des affaires.

Dans les Années 60 et 70 les Rifiens attendaient l'autorisation pour envahir Mlilia pourquoi on les à pas autorisé à récupérer cette ville.

Bravo Mme Hachim, c'est un cours magistral d'histoire pour l'Europe et surtout les esprits chauvins et bornés(nos voisins de l'est et du nord).

Excellent, à traduire en espagnol et à envoyer aux chancelleries europeennes

Il n' y a qu'à rendre la monnaie en soutenant les catalans, les basques et les kabyles....Œil pour œil et dent pour dent et soyons en fiers.

Madame, j'accorde un un bonus mérité, toutefois pour, je vous cite :"le droit et la dignité des victimes furent bafoués". Le Maroc a pour cela un pouvoir très limité du fait que l'artiste en hypocrisie déguisée serait le pays de Cervantès, bref, c'est le régime d'alger qui à mon sens endosse les responsabilités, et celles de ces femmes brandissant des pancartes en espagne demandant justice et l'autre responsabilité, a savoir, la dignité de la vie humaine ou la vie tout court n'a aucune valeur aux yeux de ce régime quant à son propre peuple et au delà, les jeunes soldats marocains fait prisonniers, morts dans d'atroces souffrances dans les geôles de tindouf sous l’œil clos d'alger. disons que ceci et cela s'estampera dans peu de semaines, économie oblige pour l'un et l'autre

Belle analyse !

Mme Mouna, j’ai pris un grand plaisir à lire votre chronique. Merci pour cet excellent éclairage sur le passé et le présent que votre plume nous a offert. Encore merci de tout cœur et bonne continuation.

Il est temps que le Maroc récupéré ces terres volé par l Espagne ne plus recevoir de l argent par l Europe est laisser passer tous se qui veule aller à sebta mellila îles Canaries marocain ou subsahariens

Durant cette crise entre le Maroc et l'Espagne, aucun pays arabe ou africain n'a osé soutenir le Maroc contre l'Espagne. Donc le Maroc n'est ni un pays Arabe ni un pays Africain, c'est un Pays AMAZIGH qui doit renforcer ses relations avec les Grands Etats sur qui, il peut compter. Nos politiques savent ce qui les attend, fini la récréation.

Article édifiant et très instructif. Après l'épisode du rocher de Leila , l'Espagne bombe de nouveau le torse suite aux événements de Sebta. N'aurait il pas fallu laisser passé 500 000 000 voire 1 million de personnes pour montrer la réalité des rapports. Le voile est levé depuis la reconnaissance américaine et l'Europe montre son vrai visage et son hostilité envers le Maroc. Elle nous impose une guerre depuis 50 ans qui met à mal l'économie du pays et le développement humain de sa population et comble du mépris, elle s'offusque de l'immigration qu'elle crée de toutes pièces.

Beaucoup de masques tombent ces derniers temps . Les revendications des minorités en Europe sont balayées d’un revers de la main . La préférence européenne est devenue la règle avec la crise du Covid . La volonté de consommer local et de fermer les frontières , la réservation des vaccins et autres matériel médical et médicaments aux seuls nationaux . Voilà l’Europe . Nous qui avons cru aux slogans , tombons des nues .

Notre différend avec l'Espagne porte sur deux points principaux:le Sahara et les villes et îles occupées au nord.S'agissant du Sahara, la reconnaissance ou non par l'Espagne de notre souveraineté sur ce territoire est superfétatoire.Seule compte la position des pays membres permanents du CS.Celle des autres, dont l'Espagne,compte pour des prunes! Néanmoins,chaque fois que necéssaire,il faut rendre à ce voisin la monnaie de sa pièce!le Maroc peut y actionner 3 leviers au moins: coopération dans la lutte contre l'émigration,contre le terrorisme et contre le trafic de drogues.Quant à la question des territoires encore occupés par l'Espagne,il est temps que le Maroc clarifie sa position officielle:demander officiellement la restitution de ces territoires,ou se taire à jamais!le reste=bavardage

Wow ! Je suis multi-dimensionnellement et hautement heureux de constater que le Maroc regorge d'intellectuel(e)ls plein(e)s de patriotisme et de fierté d'être les défenseurs de ce beau pays, le Maroc. Merci aux intellectuel(le)s du Maroc... et que soient maudits les vendu(e)s qui troquent leurs citoyenneté pour quelques $$ de plus.

Excellent Merci Lady Moina, vos sujets objectifs, directs sont stupéfiants, je me permet de partagé cet article très enrichissant sur le Groupe le amis des sept arts, sur A.P.C.A association des pionniers de la culture et des arts et bien sur sur a page Boulahcen Lahsen ; merci encore j ais toujours étais fier des grands journaliste Merciiiiii

Bravo Madame pour cette pertinente analyse, ce rappel historique et belle réplique aux hypocrites européens et espagnoles

Pathétique !

Merci beaucoup pour ce magnifique texte et ce plaidoyer magistral. Cette vieille Europe ne comprend que la force et ceci est inscrit dans ses gênes. Avant l’accalmie observée depuis la 2e guerre mondiale, l’Europe s’embrasait de part en part avec des populations qui s’entretuaient presque tous les ans et dans toute l’Europe. Pas plus de 5 ans de paix. Il faut que le Maroc renforce d’avantage ses relations avec les États-Unis et d’autres puissances non Européennes pour assoir sa force régionale. Si les européens maintiennent cette posture, alors nos petits, petits enfants envahiront de nouveau l’Europe et en premier lieu l’Espagne. On y restera un autre 7 siècles. Car l’histoire change et la grandeur des pays évolue.

0/800