Dans le monde grec, «Hypocritès» est un acteur de théâtre qui donne la réplique, feint les intentions et les sentiments, raconte un mythe ou le chante, mime un rôle en portant le masque…
Et c’est à un bal des hypocrites que nous convie l’actualité, autour de la crise Maroc-Espagne, telle que commentée par certains politiques ou scribes de différents médias et telle que formulée dans les discussions sur les réseaux sociaux de la plume de citoyens lambda.
Tout y est: le travestissement et le maquillage des faits, depuis l’entrée du chef séparatiste sous le sceau du secret avec des documents falsifiés, jusqu’à son exfiltration le soir même de son simulacre de procès.
Dans cette pantalonnade et parodie, le droit et la dignité des victimes furent bafoués; et l’exécutif, complice d’une déroutante indulgence comparativement avec d’autres cas où la justice, investie d’une compétence universelle en matière des droits de l’Homme, avait fait montre de célérité et de liberté de mouvement.
Illustration: l’affaire du dictateur chilien Augusto Pinochet. A la différence de taille que celui-ci était un chef d’Etat et non le pantin d’un groupuscule fantoche téléguidé.
Le rideau a eu au moins le mérite d’être levé et la supercherie dévoilée: plus besoin de se cacher derrière l’illusion de la neutralité. Voilà l’ancien espion à la solde de Franco (et c’est la presse espagnole qui le dit, matricule à l’appui!) envoyé comme un colis encombrant chez son parrain algérien.
Instrument de la machine de guerre des généraux contre l’intégrité du Royaume, il dévoile de prime, sur scène et plus seulement dans les coulisses, un autre soutien.
Malgré les tentatives de faire diversion en braquant le projecteur sur l’immigration, à l’aide d’images cathartiques maniant l’émotion, chauffant au passage les rangs populistes les plus tonitruants, le fond de l’affaire n’en reste pas moins la position hostile sur le Sahara.
On passe outre les larmes de crocodile versées sur le sort des migrants (qu’ils veulent bien pleurer à condition de les maintenir loin de chez eux!) pour s’arrêter sur un autre ingrédient de cette farce qui est le double jeu.
Ainsi donc, l’Espagne veut que le Maroc sécurise ses frontières au sud mais soutient une milice armée qui menace d’embraser la région.
Ce qu’on appelle de l’autre côté du détroit, avec une fausse naïveté sidérante, une «divergence en matière de politique extérieure», est pourtant une affaire évidente de souveraineté. Si l’Espagne a la sienne à défendre, celle du Maroc ne compte-elle pas?
Comment un Etat qui brime ses indépendantistes peut-il décemment soutenir des séparatistes chez le voisin?
Que dire aussi de la petite exhibition de bombage de torse de la mission aéronavale de l’armée espagnole à proximité de l’îlot occupé de Nekkor face à Al-Hoceima! Si l’approvisionnement vertical du fort est courante par l’Armada, la médiatisation au paroxysme de la tension, ne laisse aucun doute sur une opération qualifiée par Madrid de «soutien des places de la souveraineté nationale en Afrique du Nord».
Au final, le problème est là. La crise n’est pas migratoire, elle est coloniale et postcoloniale.
Nous n’avons pourtant entendu aucune voix, émanant des habituels chantres de la liberté (à géométrie variable) pointer les aberrations d’une occupation, justifiée même, quand par ailleurs l’Espagne revendique Gibraltar.
Entrent en scène, en plus de l’hypocrisie, les préjugés, l’ignorance, l’indifférence non seulement pour ce qui se joue de l’autre côté de la Méditerranée mais des perceptions de ses populations ou de leurs sentiments.
On cherche vainement les valeurs d’universalité pour buter sur un eurocentrisme étriqué, produit de siècles de conditionnement qui déforme la compréhension du passé et du présent.
Exemple: ce qui est présenté comme de «Grandes découvertes européennes» porte son lot de tragédies et de bouleversements depuis leur genèse jusqu’à leurs prolongements.
En 1415, le Maroc qui existait déjà depuis plusieurs siècles comme Etat-nation, subissait durant la décadence de la dynastie mérinide, le contrecoup de la Reconquista.
Sebta est prise par une armée de 50.000 hommes par le roi de Portugal João Ier, poussant à l’exil ses populations et la confinant à un rang de ville-garnison.
Son successeur Duarte Ier échoua devant Tanger dans une expédition soldée par l’emprisonnement du corps expéditionnaire et le maintien en otage de l’infant Fernando en contrepartie de la libération de Sebta.
Cette restitution semblait inconcevable, même du côté du pape Eugène IV qui est allé jusqu’à l’excommunication dans la bulle Etsi Cunctos soulignant le rôle de la cité, «la seule ville qui confesse le nom de Jésus-Christ en Afrique, troisième partie du monde».
En 1458, Alfonso V, surnommé depuis, «l’Africain», s’empare de Qsar Sghir. Dix ans plus tard, c’est le tour d’Anfa. En 1471 tombèrent Asilah, puis Tanger. Les Portugais poursuivent leur marche conquérante avec les prises successives de Brija en 1502, suivies de Mogador, Safi, Aguz, Fonti, Azemmour….
Sur la côte méditerranéenne, les Espagnols occupent au Maroc, en 1497, Melilla, restée parmi leurs possessions jusqu’à nos jours. Le traité signé en 1494 à Tordesillas entre les représentants des souverains espagnols et portugais sur le partage du monde, avec la bénédiction du pape Alexandre VI, avait décidé pour le cas du Maroc, le droit de conquête au Portugal, alors que les îles Canaries étaient accordées à la couronne espagnole ainsi que les territoires situés à l’est de Badis.
Qui dit occupation, dit payement de lourds tributs, razzias, massacres, esclavage, destructions de vestiges musulmans, exils des populations, dépeuplements et désurbanisations, perturbations des échanges traditionnels et des courants commerciaux...
Des villes et localités disparurent des cartes ou subirent les contrecoups de l’occupation. C’est le cas de Ghissassa à l’ouest de Melilla ou de Badis, port d’envergure jadis, relié par une allée de sable à une île, occupée en 1564 pour rester jusqu’à nos jours sous la domination des Espagnols qui l’appellent, Peñón de Velez de la Gomera, par déformation de son nom autochtone et de celui de la tribu amazighe des Ghomara.
Si le Maroc est parvenu à chasser les occupants sous les règnes des Saâdiens et des Alaouites, Sebta, Melilla et les îles sont restées aux mains ibères, malgré plusieurs assauts et sièges (dont celui de 27 ans pour Sebta par le sultan Moulay Ismaïl, sachant qu’elle était passée entre temps aux Espagnols à la suite du désastre de la bataille des Trois Rois).
Avec l’avènement de l’ère impérialiste et coloniale, les appétits s’aiguisent dans toutes les directions, imposant des tracés arbitraires à tout va, servis toujours par des approches eurocentrées cultivant le mythe d’un territoire sans maître, terra nullius et éden vierge où la propriété aurait été inconnue, assimilant le concept d’Etat-nation à un fait européen et daignant accorder aux autres, des tribus et clans, bons à être découpés sous la supervision des «Blancs».
Qu’importent pour eux les histoires des peuples avant leur intervention, les spécificités culturelles, la structure particulière de leur Etat, le pacte de la Beï'a au Sultan, élément capital dans le système politique marocain et socle unificateur de la Nation! Le Maroc a d’ailleurs présenté à la Cour Internationale de Justice les documents relatifs à ces liens juridiques qui l’unissent au Sahara et tous types de documents dont des actes internationaux constituant la reconnaissance historique de sa souveraineté par d'autres Etats.
Bref, ceux qui, dans un horripilant complexe de supériorité, ont osé écrire sans rougir que «le Maroc s’est enhardi» (entendu, depuis le soutien américain), doivent réaliser que cette cause est sacrée pour tout Marocain et que le monde, pas seulement le Maroc, amorce un changement. Toussez en Chine et la planète entière s’en trouve grippée!
Tracer les chemins d’un véritable universalisme reste, pour tous, le meilleur dénouement.