L’Afrique et ces amis qui lui veulent du bien

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ChroniqueQu’un pays perce à l’intérieur des frontières de son continent d’origine, on devrait plutôt s’en réjouir dans une configuration bienveillante, non?! Alors, de quoi se plaint-on au juste?

Le 31/07/2021 à 11h00

Elle date de novembre 2020 mais sort tout juste, et avec force, des tiroirs. Il s’agit d’une étude de huit pages, produite par l'Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (Stiftung Wissenschaft und Politik), fondation de droit civil basée à Berlin.

Pour rappel, c’est une des institutions de recherche les plus influentes dans son domaine, conseillère attitrée du parlement allemand, recevant une subvention institutionnelle payée sur le budget de la Chancellerie fédérale.

D’emblée, le titre donne le ton: «Rivalités maghrébines sur l'Afrique subsaharienne…». On se croirait dans une transposition mentale croisée sous forme de remake des rivalités européennes à la veille de la Conférence de Berlin!

En long et en large, l’étude décortique la politique africaine du Maroc en comparaison systématique avec deux autres pays du Maghreb, en la qualifiant de plus dynamique, de plus sophistiquée et de la plus progressiste des trois.

Tout y passe: le Soft Power et la visibilité internationale acquise par les livraisons d'équipements de protection «made in Morocco» à l'Afrique subsaharienne pendant la première vague de la pandémie de Covid-19; l’orientation Sud-Sud «bien établie» englobant l'aide au développement; la politique éducative, dite pareillement «sans égale», représentée en 2019 par l’accueil de plus de 17 000 étudiants d'Afrique subsaharienne; la politique migratoire avec, pour illustration, l’octroi en 2014 de permis de séjour temporaires à des dizaines de milliers de migrants irréguliers d'Afrique subsaharienne; la diplomatie religieuse par la formation des imams d'une dizaine d'Etats et le recours aux ordres soufis, dont l’influente Tijaniya qui compte des millions d'adhérents en Afrique de l'Ouest…

Mais c’est sans surprise l’économie –cette continuation de la politique par d’autres moyens– qui ressort avec force.

Et pour cause! Le Maroc est décrit comme un des plus grands investisseurs africains du continent et «le plus grand investisseur africain en Afrique de l'Ouest, où les compagnies d'assurance, les opérateurs de télécommunications et les banques marocaines détiennent des parts de marché importantes».

Sans oublier les technologies agricoles, les énergies renouvelables, les liaisons de transport maritimes et aériennes, les infrastructures énergétiques dont le développement dépend d’Etats non africains avec un intérêt porté au Maroc par des alliés non traditionnels comme la Russie ou la Chine.

Qu’un pays perce à l’intérieur des frontières de son continent d’origine, on devrait plutôt s’en réjouir dans une configuration bienveillante, non?! Alors, de quoi se plaint-on au juste?

Bizarrement, «la mariée est trop belle», au point d'éveiller les ambitions d’une voisine et d'exacerber les tensions avec l’autre!

«L'ascension du Maroc sur le continent, ajoute l’étude, pourrait être qualifiée de presque traumatisante pour l'Algérie, dont l'influence s'est considérablement affaiblie», où rien de comparable à la stratégie africaine du Maroc n’est observable et où les perspectives d'une émergence ne sont pas particulièrement bonnes.

En somme: «une dynamique de la rivalité négative», sauf que le document ne nous dit pas en toute franchise, pour qui elle est «négative» au juste.

Cette rivalité maghrébine ne pourrait-elle se mouvoir un jour en concurrence saine si des acteurs exogènes ne manigançaient pas en y ajoutant leur grain de sable, propulsant et freinant à tour de bras? Soit, une réédition à destination du Maghreb de la manœuvre classique de la carotte et du bâton.

L'Union européenne est invitée en ce sens à «contrecarrer le sentiment d'inutilité croissante de l'Algérie, à renforcer l'économie tunisienne et à relativiser les ambitions hégémoniques du Maroc».

Rien que cela! Punir celui qu’on désigne soi-même comme étant le meilleur dont le tort est de faire paraitre les autres moins forts tout en veillant à ce qu’aucune tête ne dépasse des rangs!

Alors si le Maroc se développe, il faut persister avec un boulet au pied, représenté par l’atteinte à son intégrité sur fond de connivence. En langage politiquement correct: «recommander à l’UE de continuer à soutenir la ligne de l’ONU sur la question du Sahara occidental», alors que la proposition marocaine d’un statut d’autonomie est une solution constructive pour toute la région qui aurait dû trouver là un meilleur soutien.

Et puis, que signifie «hégémonisme»? S’agit-il d’une intention manifeste de domination ou bien de l’expression des capacités de structures économiques et institutionnelles qui ont hissé les entreprises marocaines en Afrique en tant que leaders de leurs secteurs, donnant corps à un partenariat d’égal à égal?

N’est-ce pas plutôt l’hégémonisme paternaliste obsolète des anciennes puissances impérialistes et leurs accords asymétriques envers les partenaires du Sud, qui plus est davantage centré sur l’exploitation des ressources du sous-sol que de développement véritable, qui leur font perdre autant de sympathie que de parts de marchés?

Suffit-il qu’un pays africain tente de prendre en main son destin et de montrer un quelconque rayonnement pour qu’on cherche à lui planter un bâton dans les roues?

Dans ce cadre, il est prêté à l’ancien chancelier Helmut Kohl cette phrase lâchée dans un cercle restreint en 1987 selon laquelle il ne saurait être question de laisser l’Afrique s’industrialiser ni à l’Occident de se laisser surprendre une deuxième fois, distrait qu’il avait été face au développement de l’Asie.

Par ailleurs, l’Allemagne est tout ce qu’il y a de plus hégémonique, en Europe déjà où elle mène la danse; où son essor est depuis longtemps considéré comme un facteur déstabilisant pour ses voisins: où les tergiversations de la crise de l’euro ont abouti à présenter les factures égoïstement et cyniquement aux plus faibles. Oserait-on pour autant pointer le déséquilibre, remuer la plaie sur l’aiguisement de la tragédie grecque et nous mêler de politiques internes orchestrées par la troïka?

Il faut dire que donner des leçons et distribuer des points est une marque déposée exclusive. De plus, qui sommes-nous, pauvres Africains que nous sommes, pour penser hors du cadre, pour agir en dehors d’une certaine Europe sans laquelle nul salut ne devrait être envisageable! La même à décréter qui est autorisé à se développer et à promulguer quand et comment entraver la marche.

Tout cela, bien évidemment, assorti des apparences illusoires d’un désintéressement légendaire, misant sur une coopération triangulaire et proposant aux retardataires, entre autres, expertise et savoir-faire.

Nous y sommes! Il fallait juste l’exprimer sans passer par quatre chemins. Appelez cela, avec Nietzsche, une «volonté de puissance», faisant fi des leçons de morale, ou plus prosaïquement si vous le voulez, récapitulé par la formule: «ôte-toi de là que je m’y mette!».

Mais gare aux revers de la tyrannie hégémoniste! Un sage comme le philosophe Thomas Hobbes aurait répondu qu’un absolu de puissance tue la puissance, tandis que vient à nous cette réplique ne s’embarrassant ni de délicatesse ni de bienséance dans la logique de la contestation nietzschéenne: «la grenouille finit toujours par éclater, la grenouille qui s’est trop gonflée». Ainsi parlait Zarathoustra.;.

Par Mouna Hachim
Le 31/07/2021 à 11h00