Afghanistan, «cimetière des empires», et probablement aussi, du principe du droit d’ingérence.«Nous avons menti à ces peuples en danger, qu'on ne pouvait protéger», affirme l’ex-ministre des Affaires étrangères français, Hubert Védrine, dans un entretien à un magazine d’actualité qui titre: «L'Afghanistan est le tombeau du droit d'ingérence».
Quel est donc ce droit de s'immiscer indûment sans y être invité, ressemblant dans le meilleur des cas à une vaine utopie, outrepassant la souveraineté des Etats, en agissant malgré eux, voire contre eux et en portant atteinte à leur légitimité, si ce n’est à leur existence?
C’est le 26 janvier 1987 que s’ouvrait à Paris une conférence internationale sur le thème, «Droit et morale humanitaire», organisée conjointement par la faculté de droit de Paris-Sud et l’organisation «Médecins du monde», dont le président était alors le célèbre french doctor, Bernard Kouchner.
A l’issue de la rencontre, réunissant un beau parterre de plus de 400 participants de grands calibres et de divers horizons, une résolution est adoptée. Elle va dans le sens de la reconnaissance du «droit d’assistance humanitaire», dès lors que celle-ci est destinée à protéger les droits aux soins et à la vie de populations en détresse, à l’intérieur de leurs propres frontières, alors que toute intervention unilatérale transgresse de facto la souveraineté des nations et implique une remise en question de l’ordre international.
L’ONU, dont la charte interdit l’ingérence dans les affaires d’un Etat membre, ne tarde pas à être saisie de la question, d’apparence tout en altruisme et générosité. Mais ne dit-on pas que l’enfer est pavé de bonnes intentions?!
Le 5 avril 1991, le Conseil de sécurité, se disant «profondément ému par l’ampleur des souffrances de la population irakienne», adopte la résolution 688. Le devoir d’ingérence est né.
«Provide Comfort», intervention armée à but humanitaire (excusez de l'oxymore!), s’ensuit. Mission affichée: livrer de l'aide aux réfugiés kurdes fuyant le nord de l'Irak au lendemain de la guerre du Golfe.
Elle se succède d'un ensemble d’offensives de la Coalition, telle l’opération «Liberté irakienne» dont l’objectif officiel proclamé est l’instauration de la démocratie.
La liberté, c’est la guerre; la stabilité, c’est le chaos (oui, on se croirait dans un livre d’Orwell!).
Les conséquences de l’ingérence de la démocratie, c’est la pendaison de Saddam Hussein un matin de la fête du Sacrifice musulman; la dévastation de l’Irak, berceau de civilisation; l’exacerbation des tensions et la sortie de leurs boîte de tous les démons; le cynisme face aux «dégâts collatéraux» dont les «bébés monstres» de Fallouja qui soulèvent des questions sur les armes utilisées en 2004… Etrange paradoxe pour ceux qui devaient débusquer, avec magnanimité, les armes de destruction massive, entre parenthèses jamais retrouvées!
Comme si ce n’était pas suffisant, une ingérence en appelant une autre, la boîte de Pandore est ouverte. Pour ne citer qu’elle, citons la résolution 1973 entérinée l’année 2011, permettant la mise en place d’une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye pour protéger les populations.
Depuis, n’étant pas à un dévoiement de principes près, le régime du colonel est tombé et le bal des vautours put danser à loisir autour de la dépouille de Kadhafi, nous rappelant avec le théologien humaniste savoyard, Sébastien Castellion, que «tuer un homme, ce n'est pas défendre une doctrine, c'est tuer».
Et si le Conseil de sécurité s’était dit, par ailleurs, «profondément préoccupé par la répression des populations civiles», si le tam-tam humanitaro-médiatique y était allé comme de coutume avec ses complaintes larmoyantes provoquant l’émotion nécessaire pour justifier les interventionnismes, nous ne pouvons que constater a posteriori le cynisme face aux souffrances liées à ces guerres provoquées qui ont transformé des populations civiles entières en parias sur le chemin de l’exode.
Faut-il rappeler cette dernière sortie politique controversée, venue de France, tout de suite après la prise de Kaboul par les Talibans, en rapport avec la protection des «flux migratoires irréguliers» dont l’Europe «n'a pas à assumer seule les conséquences»?
Comment oublier aussi ces scènes hallucinantes sur le tarmac de l'aéroport de Kaboul, de marées humaines espérant une impossible fuite, au point où certains se sont accrochés aux roues et aux flancs d’un avion militaire en partance, évacuant les chanceux diplomates, les étrangers et autres autochtones collaborateurs.
Dans une configuration honnête de bout en bout, il n’y a pas de mal à s’assurer la sécurité pour soi-même et pour les siens en priorité. Après moi le déluge! Mais alors, de grâce, épargnons-nous les rhétoriques humanistes ou éthiques qui ne trompent plus grand monde!
Ne nous cachons pas derrière les droits de l’Homme là où se trouvent des manœuvres géostratégiques, des calculs politiques, des considérations économiques, des élucubrations messianiques…
Nous avons bien vu des marchés aux esclaves en Lybie en 2017 après sa «démocratisation», des enfants syriens mourir dans la mer Egée, la famine et la maladie menacer des millions de personnes au Yémen… dans l’inertie.
Les exemples sont légion pour démontrer cet humanisme à géométrie variable et l’application sélective et versatile de la justice internationale.
Au gré des intérêts, des agendas et des camps alliés, il semble exister en effet des causes impliquant l’ingérence et d’autres imposant silence et indifférence, des victimes nobles et d’autres méritant de périr sans arracher une once d’émotion aux faiseurs de guerres et d’opinions.
Et demain, si nous vivons assez longtemps, nous pourrons avouer honteusement à nos petits-enfants, que nous avons assisté impuissants à la ruine de notre monde sans pouvoir affirmer avec certitude si c’est par trop plein d’indifférence ou face à autant d’ingérences.