Casablanca, une ville sans histoire?

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ChroniqueChimérique condition que celle de ces habitants qui cherchent l’histoire de leur métropole dans les décombres! On dirait que les hommes et la nature se sont ligués, le long des siècles, pour en faire une ville palimpseste, ne pouvant se construire que par destruction.

Le 07/08/2021 à 11h04

Encore une découverte archéologique majeure à Casablanca, sortie des entrailles de la carrière Thomas! Elle est représentée par l’Acheuléen le plus ancien d’Afrique du Nord, datant de 1.3 millions d’années, et dont la pièce caractéristique est l’outil biface au début de l’âge de pierre.

Ces trouvailles inédites bouleversent les estimations initiales relatives à l’émergence de cet humain du Paléolithique inférieur en marquant un saut chronologique décisif à l’échelle continentale.

Elles viennent aussi confirmer la valeur universelle du patrimoine préhistorique de la ville, connu déjà au niveau mondial, fait d’outils lithiques, de restes fauniques, de fossiles paléoanthropologiques et de traces de «l’homme de Sidi Abderrahmane», ayant vécu en ces lieux il y a au moins 500 000 ans.

Questions: comment protéger ces sites dans une ville engloutie par le ciment et par le béton? Pourquoi le parc archéologique, dont les travaux entamés en 2014 et devant durer deux ans, n’est toujours pas ouvert au public? Au-delà de la paléontologie, quelle politique de la ville, sans appui sur sa mémoire, voire dans l’anéantissement et dans la négligence de toute bribe de son histoire?

Etrange destin que celui de Casablanca, Far West de toutes les aventures et de toutes les ingratitudes, dite injustement bâtarde! Plutôt abâtardie par les démons de l’affairisme sauvage, par l’analphabétisme des élus, par le mépris de certains de ses habitants, qui n’y voient rien d’autre qu’une vache à lait, propice aux opportunités de tous genres, sans saisir ce généreux foisonnement ensemencé par différents courants et sans attachement affectif véritable.

Chimérique condition que celle de ces habitants qui cherchent l’histoire de leur métropole dans les décombres!

Que reste-t-il d’Anfa, la Phénicienne, dont le nom ancien, désignant en langue berbère la colline, est probablement lié au phénicien-cananéen anf définissant le nez et par-là, un promontoire?

Rien. A part des présomptions livresques d’un Luis Marmol, similaires à celles d’un Léon l’Africain qui la rattache aux Romains.

Les siècles s’écoulent en silence. Puis, Anfa émerge dans les textes des géographes. Au XIIe siècle, Al-Idrissi la décrit comme étant le port de la Tamesna (actuelle Chaouia), point d’escale «visité par les vaisseaux marchands qui viennent y chercher de l'orge et du blé».

Ses habitants sont alors les Berghouata, maîtres des lieux du VIIIe au XIIe siècle, professant une doctrine jugée hérétique, vouée aux gémonies. Plusieurs expéditions armées furent menées en effet par les Zénètes Beni Ifren, maîtres de Tadla et de Salé, puis par les Almoravides, dont le chef spirituel Abd-Allah ben Yacine périt lors d’un des combats, et enfin par les Almohades avec pour conséquence, en 1188, la destruction totale de la capitale de la principauté, Anfa.

Tel un phénix renaissant de ses cendres, la voilà réapparaissant sous le règne mérinide, en tant que «vraie ville» et «capitale provinciale», au port actif centré sur l’exportation de laine et de céréales. Ses guerriers participent par ailleurs aux combats en Andalousie, notamment à la bataille de Rio Salado, près de Tarifa.

Aujourd’hui, le seul nom rappelant cette époque est celui de Sidi Allal al-Qarouani, venu selon la légende dans la cité en 1349 à partir de Kairouan, sous le règne du sultan Abou-l-Hassan Ali, mais dont la coupole et le mausolée rebâtis, connurent en 1907 l’affront des obus.

Avec le déclin mérinide, Anfa vécut en totale indépendance, formant «une sorte de petite république de pirates» qui menaçait les chrétiens jusqu’à l’embouchure du Tage.

En représailles, les Portugais la saccagèrent de fond en comble, incendiant les maisons et ruinant les remparts. C’était en 1468, avec une armada de 10 000 hommes et de 50 navires armés de canons, sous le commandement de l’infant don Fernando, frère du roi Alphonse V en personne.

Quarante années durant, celle dont Léon l’Africain évoquait la mémoire des «temples somptueux», des «belles boutiques et superbes édifices», se présenta sous forme d’un amas de ruines, avant de subir un autre assaut portugais en 1515, accompagné de la reconstruction et de tentative de réoccupation de la forteresse, baptisée Casabranca.

Mais quand les hommes marquent un répit, c’est la nature qui s’en mêle. L’épicentre du tremblement de terre de Lisbonne de 1755, prolongea son onde de choc vers notre cité océane, victime d’un raz-de-marée, provoquant une puissante dévastation.

On dirait que les hommes et la nature se sont ligués, le long des siècles, pour en faire une ville palimpseste, ne pouvant se construire que par destruction.

Seuls vestiges de la période portugaise: la prison d’Anfa, construite intra-muros par les corsaires et moujahidine au XVIe siècle, démolie plus tard par les autorités coloniales, qui ont déplacé ses arcades en pierre au parc Lyautey en deux lieux différents, près de la Casablancaise et derrière l’ex-cathédrale, une partie dans l’oubli, l’autre au centre d’une velléité de restauration à la sauce moderniste qui n’est pas du goût de tout le monde.

Il a fallu attendre le règne du sultan Sidi Mohamed ben Abd-Allah et sa visite à Anfa en 1785, pour assister au redressement de ses remparts et à l’ouverture de son port au négoce international, sous le nom de Dar el-Bayda.

Son destin moderne se trace dès cette date accompagné d’un essor économique et démographique qui n’est pas le fruit du hasard. Tout concordait: richesse des matières premières, emplacement stratégique entre les deux cités impériales, profondeur de la rade de son port, propice au mouillage des bateaux à vapeur…

Cette prospérité s’accéléra au long du XIXe siècle, drainant des populations de tous les rivages et attisant autant la convoitise des puissances que la colère des habitants. Le 30 juillet 1907, ce fut le débarquement de Casablanca sous les ordres du général Drude, la destruction de quartiers entiers, le massacre dans les rangs des populations musulmanes et l’occupation de la ville, cinq années avant la signature de l’acte du Protectorat.

L’élément déclencheur en fut une provocation de trop: la profanation du périmètre du cimetière de Sidi Belyout par un rail de chemin de fer transportant des pierres nécessaires aux travaux du port, et déplaçant vers les périphéries des santons adulés, tels Sidi Moumen ou Sidi Maârouf.

Depuis, le périmètre de la Zaouïa du saint patron de la ville s’est réduit comme une peau de chagrin. Beaucoup de constructions de la médina furent touchées, tels ses remparts qui n’ont pas résisté au bombardement.

Dans les années 1920, c’est la destruction d’une partie des murs d’enceinte et avec, la porte Bab Reha pour permettre les travaux du Boulevard du 4e Zouave…

Aujourd’hui, le noyau historique de la ville peine à trouver le chemin d’une véritable réhabilitation, tandis que l’ancienne ville européenne, avec ses réalisations admirables, n’est pas mieux lotie, après avoir servi de fabuleux laboratoire architectural en plein air où s’est épanoui notamment le style Art Déco...

Adieu le cinéma Vox, l’un des plus grands du monde, avec ses 2 000 places, conçu par le grand architecte français Marius Boyer! Adieu l’hôtel Anfa, lieu du déroulement de la conférence du même nom, réunissant les Alliés et scellant le sort de la Seconde Guerre mondiale! Adieu les Arènes de 3 500 places, produisant les plus grands toréadors, comme El Cordobes, des matchs de boxe avec Marcel Cerdan et des galas de Abdelhalim Hafez, Jacques Brel ou encore Oum Keltoum! Adieu la Piscine municipale, la plus grande du monde, avec ses 300 mètres de long! Adieu le Théâtre Municipal, adieu tous ces cinémas de quartiers! La liste est longue…

C’est comme s’il y avait un problème avec cet héritage colonial, pourtant devenu un patrimoine national, dans une ville en proie à tant de destructions et de défigurations, fruits d’une gestion chaotique, qui s’enorgueillit paradoxalement d’en faire une smart city.

Par Mouna Hachim
Le 07/08/2021 à 11h04