Casablanca, des promesses et des dettes

DR

ChroniqueLa Commune de Casablanca s’apprête à recevoir un nouveau prêt de la Banque mondiale. Mais ce qui est présenté comme une ingénieuse réalisation ne manque pas de soulever quelques interrogations…

Le 25/06/2022 à 11h02

«Tant qu’elle caquette, elle continue à ajouter des œufs», dit le vieil adage marocain.

La Commune de Casablanca s’apprête à recevoir encore de la part de la Banque mondiale un nouveau prêt de l’ordre de 100 millions de dollars, s’ajoutant aux 200 millions de dollars demandés en 2015 sous l’ère Sajid, approuvés en 2017 par les experts de Bretton Woods afin de soutenir la réalisation des objectifs de développement de la métropole.

«Une première pour une commune marocaine», s’enorgueillissaient alors quelques élus de la Ville blanche. «Une marque de confiance», affirme-t-on encore, avec le même aplomb, à l’annonce de ce financement additionnel.

Hier comme aujourd’hui, ce qui est présenté comme une ingénieuse réalisation ne manque pas cependant de soulever un certain nombre d’interrogations.

N’y a-t-il pas de meilleure option que l’endettement, même si le taux de remboursement est présenté comme très confortable?

La ville -ou plus exactement sa gestion- a-t-elle les moyens de cette dette?

A titre d’exemple, Casablanca dispose d’un patrimoine mobilier et immobilier considérable, évalué récemment à près de 24,8 milliards de dirhams, lequel, s’il était bien géré, pourrait générer des recettes permanentes et apporter un soulagement significatif à un Conseil toujours en mal de boucler son budget et d’honorer ses engagements.

Or, apprend-on dans la presse, des biens communaux sont bradés pour des miettes, avoisinant parfois les 20 DH de frais de location par mois pour certains magasins et équipements, 100 DH pour des villas, 700 DH pour des grandes surfaces bien situées, 750 DH par mois pour l’historique espace Sqala… Sans compter les biens occupés par des tiers sans rapporter un rond!

C’est si compliqué, d’abord dans un souci de transparence, de rendre public par voie numérique le recensement des biens loués et de procéder d’urgence à une revalorisation mettant fin à des décennies de gabegie et à un incontestable manque à gagner?

Dans le même ordre d’idées, et alors que la maire de Rabat a déclaré que la Commune comptait plus de 2.400 fonctionnaires fantômes, combien sont-ils à Casablanca, rodant partout sauf là où ils devraient se trouver, à savoir leurs bureaux, avec tous les préjudices que l’on imagine?

Là encore, ceux qui sont appelés «fantômes», se trouvent être des entités en chair et en os, devant être en mesure, comme n’importe quel autre travailleur rétribué (à plus forte raison quand c’est avec l’argent du contribuable), de répondre de leur absentéisme dans une logique évidente de reddition des comptes.

Qui veut tuer la poule aux œufs d’or?

Enfin, dans la série des questions, où en sont déjà les chantiers relatifs au plan de développement du Grand Casablanca 2015-2020, signés en 2014 et qui devaient disposer d’un financement indépendant?

A part quelques chantiers bouclés, généralement en retard sauf rares exceptions, les travaux sont lamentablement à la traîne quand ils ne correspondent pas en tous points à la maquette originale à l’image de la Coupole Zevaco, dite Kora Ardia, exhibant sa structure métallique nue là où les affiches arboraient un habillage flamboyant à l’aide d’un jeu de verres en couleur.

C’est ainsi que la réalisation des lignes 3 et 4 du tramway, dont la finition était initialement programmée pour fin 2022, se voit prolongée jusqu’au mois de décembre 2023 pour un démarrage effectif en 2024.

Pendant ce temps-là, les tronçons situés sur les grandes artères telles que Oum-Rabie, Rahma, Moulay Youssef, Al-Qods, Mediouna… sont devenus un enfer pour les riverains et les usagers.

Il en est de même pour tant d’autres projets.

A titre d’exemple, l’emblématique stade La Casablancaise, dont le marché de réaménagement fut approuvé en 2015, devait durer 18 mois.

Le chantier du Grand Théâtre, lancé en 2014, enregistre des années de retard, laissant voir une monumentale bâtisse, dépourvue de vie puisque l’ouverture au public est sans cesse ajournée depuis 2018.

La pandémie a bon dos!

Que dire du parc archéologique Sidi Abderrahmane dont les travaux furent entamés en 2014 et devaient être achevés en 2016 ou du nouveau Zoo de Aïn Sbaâ commencé en 2015 avec une réouverture prévue en 2018!

Bref, il est entendu que les chantiers ouverts représentaient une aubaine, à l’impact certain sur la ville tant au niveau économique qu’en rapport avec la vie quotidienne de ses habitants.

On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs.

Il ne s'agit donc pas de critiquer les travaux ou de remettre en cause leur utilité mais de dénoncer plutôt les lenteurs, le manque de transparence, les planifications hasardeuses, le non-respect des engagements et les endettements dont les citoyens font les frais à tous les coups.

Une nouvelle rassurante, toutefois: on aurait renouvelé des plaques de rues et rafraîchi quelques appellations dans la commune du Maârif pour ne pas la nommer.

Je ne sais pas quand ni comment mais le résultat, partagé cette semaine sur les réseaux sociaux, est entre dramatique et cocasse.

On découvre ainsi une rue Boudelaire (sur le même rythme que tous les honorables Bou-Quelque-Chose ou Bou-Quelqu’un qui sont foison) et une rue La Palace (oui oui, visiblement en référence au scientifique de l’ère napoléonienne, Pierre-Simon de Laplace) dont le nom fut traduit littéralement en langue arabe en: Zanqat Sâha!

«Ô rage! ô désespoir!», répondrait en écho Don Diègue, de Corneille.

«Ô cruel souvenir de ma gloire passée!»

Par Mouna Hachim
Le 25/06/2022 à 11h02