La période romaine au Maroc

L’Afrique réelle

ChroniqueDe nombreuses zones d'ombre subsistent encore concernant la période romaine au Maroc. En dépit de nombreuses prospections, il n’a en effet pas été possible de mettre en évidence, à l’est de Volubilis, la moindre liaison entre la Maurétanie tingitane et la Maurétanie Césarienne.

Le 01/03/2022 à 11h05

Ce fut à partir de 112 à 105 av. J.-C., à l’occasion de la guerre contre Jugurtha (Yougarithène pour les Berbères), roi de Numidie (Tunisie et région de Constantine), que Rome s’intéressa à la Maurétanie (l’actuel Maroc). A l’occasion de cette guerre, étant allié à Rome, Bocchus Ier (-80 av. J.-C.) roi de Maurétanie, conquit l’actuelle Oranie, ce qui lui permit de créer une «grande Maurétanie».

En 34 av. J.-C., à la mort de Bocchus II, Octave plaça sur le trône de Maurétanie désormais vacant, un prince berbère, Juba II, qui présentait l'avantage d'avoir été élevé à Rome. Sous son long règne d’une cinquantaine d’années (+- 30 av. J.-C./ 23 ap. J.-C.), puis sous celui de son fils Ptolémée (23-40 ap. J.-C.), la Maurétanie connut un essor brillant avec pour capitale Caesarea Mauretaniae (Cherchell), tandis que Volubilis était résidence royale.

Les villes marocaines de cette période ont été fouillées et les témoignages archéologiques permettent de voir que la civilisation maurétanienne y fut brillante. Qu'il s'agisse de Sala, de Lixus, de Volubilis, de Banasa, de Tamuda (près de Tétouan), de Thamusida ou encore de Rirha, toutes ces villes furent fondées avant l'occupation romaine.

En 40 ap. J.-C., Ptolémée, fils de Juba II fut mis à mort dans l’amphithéâtre de Lyon sur ordre de Caligula. Ce dernier fut assassiné en 41 et Claude (41-54) lui succéda. Sous son règne éclata la révolte d’Aedemon qui eut de graves conséquences sur l'organisation du royaume maurétanien puisque Tamuda fut détruite en totalité, tandis que Lixus et Volubilis le furent en partie; en revanche, Tingi ne fut guère affectée.

En 42 ap. J.-C., Rome annexa la Maurétanie, puis, en 44 ap. J.-C., l’empereur Claude la scinda en deux, créant la Maurétanie césarienne (partie occidentale de l’actuelle Algérie, Algérois et Oranais), et la Maurétanie tingitane (Maroc actuel avec Tanger comme chef-lieu). Durant deux siècles, la Maurétanie tingitane fut placée sous administration romaine et dirigée par un procurateur représentant l’empereur dont on ignore s’il résidait à Volubilis ou à Tingi (Tanger).

Certaines cités comme Tingi, Banasa, Zili, (Babba?) et Volubilis furent des Colonies romaines dès le règne d’Auguste (27 av. JC/14 ap. J.-C.). Elles avaient les mêmes droits que Rome, possédaient une Curie ainsi qu’un ordre des décurions chargé de les administrer et qui était revêtu des mêmes privilèges que l’ordre sénatorial romain. Il n’y eut pas de colonies de peuplement en Maurétanie Tingitane, hormis quelques installations de vétérans.

L’autorité de Rome s’exerça grâce à une garnison nombreuse composée de cinq ailes de cavalerie et d’une quinzaine de cohortes d’infanterie, soit entre cinq et dix mille hommes répartis en une quinzaine de camps. Celui de Thamusida, qui avait une garnison d’un millier d’hommes, donna naissance à une ville. Dans la région de Volubilis ont été identifiés ceux de Sidi Moussa bou Fri, d’Aïn Schkour et de Tocolosida. Volubilis qui était au cœur d’une riche région agricole comprise entre l’oued Beht et la chaîne montagneuse du Zerhoun était protégée par un limes régional ancré sur quatre ou cinq points d’appui principaux et sur une quinzaine d’ouvrages secondaires dont les camps d’Ain Schkour et de Tocolosida (Bled Takourart). D’autres camps existaient à Tamusa, à Sala ainsi que dans les régions de Tanger et de Lixus. Au sud de Rabat un talus fortifié de 12 km fut élevé avec des tours de garde à intervalles réguliers, il s’agit du Seguiat el Feraoun.

A l’Ouest, dès la création de la province de la Tingitane, la ligne romaine de défense fut établie sur le cours du Sebou qui constituait une frontière géographique d’autant plus réelle qu’au sud de l’oued, s’étendait une vaste zone marécageuse. Sur la rive gauche du Sebou, Thamusida et la colonie de Iulia Valentia Banasa étaient les verrous du secteur central.

En réalité, Rome n'occupa que des régions de plaines et de collines dans l’hinterland des cités érigées à l'époque des royaumes maures. Puis, sous Dioclétien (284-305) Rome abandonna l’intérieur de la Tingitane, dont la ville de Volubilis, pour ne plus conserver qu’un triangle dans la partie nord, autour de Tingi, qui fut rattaché administrativement aux Espagnes.

De nombreuses zones d'ombre subsistent encore concernant la période romaine au Maroc. C'est ainsi que nous ignorons si des contacts terrestres effectifs et suivis existaient entre les deux provinces maurétaniennes, la Tingitane et la Césarienne.

En dépit de nombreuses prospections, il n’a en effet pas été possible de mettre en évidence, à l’est de Volubilis, la moindre liaison entre la Maurétanie tingitane et la Maurétanie Césarienne. De plus, aucune ruine de la région d’Oujda n’est romaine.

Vers l’Est, le premier poste romain était situé à proximité de Lalla Marnia (Maghnia), à l’est de la Moulouya; il s’agit de Numerus Syrorum. Quant aux fouilles faites sur les ruines de Bou Hellou à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Fès, elles n’ont permis de mettre au jour que des constructions récentes et l’absence totale de céramique romaine permet d’écarter toute idée d’occupation durable.

En réalité, la Tingitane ne fut ni romanisée, ni christianisée en profondeur, seule une petite partie de l’actuel Maroc, à savoir le triangle Tingi-Volubilis-Sala fut concerné par la romanisation et par la christianisation. A Tingi, aucune église n’a été mise au jour. On pourra toujours mettre en avant que la ville ancienne étant sous l’actuelle médina, des fouilles y sont difficiles; tel n’est pas le cas pour Volubilis où, en dépit de nombreuses campagnes de fouilles, la ville n’a livré aucune église. Dans toute la Tingitane, seuls deux authentiques lieux de culte chrétiens ont été identifiés, à savoir une petite basilique à Lixus et une église datée de la seconde moitié du IVe siècle à Asilah, l’ancienne Zili, église qui fut détruite au début du Ve siècle. Notons également qu’à Ceuta a été découvert un enclos funéraire abandonné au début du Ve siècle. Tous ces éléments ne font pas penser à une chrétienté particulièrement florissante. D’ailleurs, dans les récits relatifs aux débuts de la période arabo-musulmane dans l’ancienne tingitane, il n’est que très rarement fait référence ou allusion à l’existence de communautés chrétiennes, et cela contrairement à la partie orientale du Maghreb.

Volubilis fut abandonnée après 285, sous Dioclétien (284-305). Lixus fut incendiée et détruite à cette époque et les usines de salaison délaissées. Quant à Thamusida, l’actuelle Sidi Ali Ben Ahmed, elle fut également incendiée, avant d’être en partie reconstruite, puis définitivement abandonnée au début du IVe siècle. L’exception est constituée par Sala, seule ville au sud de Tingi à n’avoir pas été évacuée et qui conservait encore au début du Ve siècle un «tribun de la cohorte de Sala». Quant à l’îlot d’Essaouira (Mogador), il était encore très fréquenté au IVe siècle comme l’attestent les monnaies et les céramiques qui y ont été mises au jour.

Par Bernard Lugan
Le 01/03/2022 à 11h05