Derrière le coup d’État du Burkina Faso

L’Afrique réelle

ChroniqueMême si ces «jihadistes» régionaux sont essentiellement des Peul, une chose est cependant certaine, le facteur religieux les motivant est souvent secondaire. Rapidement baptisés «jihadistes», ces insurgés se sont en effet soulevés pour des motifs d’abord locaux dans lesquels la religion est quasiment absente.

Le 08/02/2022 à 11h02

Après celui du colonel Goïta au Mali, un coup d’Etat militaire vient donc de se produire au Burkina Faso. Par-delà les indignations moralisatrices, la raison profonde de ces coups d’Etat est triple:

1. rejet du «démocratisme» de type occidental ressenti comme une forme de néo-colonialisme, et volonté de retour à des pouvoirs forts, comme ceux qui prévalaient avant le «discours de La Baule» et le diktat démocratique imposé à l’Afrique.

2. Rejet du postulat de lutte globale contre le jihadisme quand tout le monde, sur place, au Sahel, sait que le problème n’est pas d’abord religieux. Ici, les jihadistes ou les GAT (Groupes armées terroristes) ne font en effet qu’utiliser à leur profit des causes purement endogènes.

3. Rejet de l’aveuglement qui s’obstine à refuser de voir qu’il y a «jihadisme» et «jihadisme». L’un, celui de l’EIGS (Etat islamique dans le Grand Sahara) est effectivement une entreprise de subversion politico-religieuse. Mais l’autre, celui d’Aqmi, est d’abord un ethno-jihadisme ancré sur la double revendication des Touareg et des Peul. Le colonel Goïta au Mali l’a bien compris. Voilà pourquoi il négocie en ce moment avec le Touareg Iyad Agh Ghali et le Peul Amadou Kouffa, ce que, prisonnière de ses dogmes, la communauté internationale a toujours refusé de faire. Les nouvelles autorités burkinabé vont probablement suivre la même voie avec les mouvements peul qui ensanglantent le nord du pays. Loin des objurgations de la CEDEAO, de la France et de l’ONU…

La question du Burkina Faso s’inscrit dans un cadre sous-régional englobant le sud du Mali, le Niger fluvial, le nord de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Togo et du Bénin. Dans toutes ces régions, le soubassement de la dislocation est formé par la résurgence active ou potentielle de conflits antérieurs à la période coloniale. Renaissant actuellement sous forme de querelles paysannes amplifiées par la surpopulation et par la péjoration climatique, ils entrent ensuite tout à fait artificiellement dans le champ du jihad.

Depuis 2015, les groupes terroristes ont pris pied au Burkina Faso, un pays jusque-là préservé. L’année 2016 vit l’explosion du nombre des attaques terroristes, tant dans la province du Soum, en contagion des évènements du Macina malien, mais également dans l’est du pays, y provoquant de fortes réactions ethniques. Le 2 mars 2016, la capitale, Ouagadougou, fut le théâtre d’un attentat sanglant revendiqué par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM-AQMI).

Durant l’année 2017, la tache terroriste s’étendit, puis, à partir de fin 2018, début 2019, l’EIGS commença à s’implanter dans la région. Furent alors touchées les régions peu peuplées de l’est et du centre, là où existait une tradition de banditisme de brousse. Les GAT achevèrent d’y détruire le faible maillage administratif en y attaquant gendarmeries et casernes et en y brûlant les écoles. Laissées sans protection, les populations s’armèrent et constituèrent des groupes d’auto-défense qui s’attaquèrent aux Peul suspectés d’être de connivence avec les terroristes.

En 2019, la contagion terroriste toucha l’est de la région de Fada-Ngourma autour de Gourmantché. Un phénomène qui ne cessa de prendre de l’ampleur en 2020 et en 2021.

Même si ces «jihadistes» régionaux sont essentiellement des Peul, une chose est cependant certaine, le facteur religieux les motivant est souvent secondaire. Rapidement baptisés «jihadistes», ces insurgés se sont en effet soulevés pour des motifs d’abord locaux dans lesquels la religion est quasiment absente. Selon un rapport du ministère burkinabé de la Justice et des droits humains publié fin 2021 et qui recense les conflits ensanglantant le pays depuis 2018, seuls 7% sont en effet à base religieuse quand 86% ont pour origine l’opposition ethno-économique entre agriculteurs et éleveurs, conflits traditionnels aujourd’hui utilisés et même captés par les jihadistes. En réalité, à de petits noyaux de religieux s’agrègent tout ce que les régions concernées peuvent compter de mécontents, de bandits traditionnels, d’orpailleurs, de braconniers et d’éleveurs dont les troupeaux sont razziés.

Par Bernard Lugan
Le 08/02/2022 à 11h02