Al himar (arabe classique), lahmar (arabe dialectal), aghyoule (amazigh) !
En français, on dit âne d’une personne à l’esprit borné. L’âne est appelé également bourrique ou bourricot.
Chez nous, on insulte une personne en la traitant de bourricot ou dahche (petit âne). L’insulte la plus courante et la plus humiliante est hmar. L’image de cet animal est si négative qu'aujourd’hui encore, il est courant de dire «hmar, hachak» («sauf ton respect»). Comme si l’on parlait d’un élément vulgaire ou souillant. Plus on prolonge la syllabe hmaaaaaar, plus l’insulte est blessante et la personne mkalkha (bête).
On dit «ana hmar» («je suis un âne») si on s’est fait duper ou qu’on a fait une grosse erreur. Hmar signifie aussi être idiot, mal élevé.
Les enfants sont souvent traités de hmar quand ils n’ont pas de bonnes notes. Dans les écoles, et pas seulement au Maroc, on leur fait porter wadnine lahmar (un bonnet d’âne) et on les fait tourner dans les classes. Avec ses longues oreilles, l’âne est doté d’un forte capacité d’ouïe: il entend jusqu’à 3 km.
D’autres insultes: rasse lahmar («tête d’âne»), ache hade tahimarite («des âneries»). Si une personne crie, pleure ou chante faux, on lui dit : «tatharnate» («tu brais»).
Pour dire à une personne qu’elle trime au travail: tatadmare bhal lahmar («tu trimes comme un âne»), hmar attahouna («âne du moulin»), hmar almaouqafe ou hmar drasse («du battage»).
Pour dire qu’un homme est soumis à son épouse: «mrakba lih al bardâa» («elle lui fait porter le bât»). Une plaisanterie féminine: «Allah ya’tini saâde lahmara» («Dieu me donne la chance de l’ânesse!»), une allusion au sexe de l’âne que la nature a gâté.
Contrairement à sa réputation, l’âne est très intelligent et doté de grandes facultés d'apprentissage, de mémoire et de compréhension.
Le plus étonnant? Le lait d’ânesse est le plus proche du lait maternel. Chez nous, le nouveau-né privé de lait maternel était nourri au lait d’ânesse. Ce lait était prisé par la reine Cléopâtre, qui s’en faisait des bains pour préserver sa jeunesse. Aujourd’hui, il est très recherché en cosmétique.
Une personne paresseuse est traitée d’âne. Pourtant, c’est un travailleur infatigable: transporte des personnes et du poids, fait tourner les meules et les moulins à longueur de journée en tournant en rond, laboure la terre avec el mahrate (l’araire)… Précieux dans les zones enclavées, montagneuses, les terrains escarpés et arides, il a le pas sûr.
Il est plus robuste et endurant que le cheval et facile à entretenir: il peut boire de l’eau saumâtre et même de l’eau salée. Il est fonctionnel à trois ans et vit plus de 40 ans. C’est un fidèle compagnon des pauvres qui ne peuvent s’offrir le luxe d’un cheval et des équipements: 75% des ânes sont utilisés dans les zones bours (agriculture sans irrigation artificielle, juste avec l’eau de pluie.)
L’âne, trop docile pour se révolter, est intensément exploité. On peut le maltraiter pour le faire avancer rapidement: on utilise dabra, une plaie, qu’on titille avec al maneghaze (un bâton). D’où l’expression: tat-hake ‘la dabra («remuer le couteau dans la plaie»).
Aujourd’hui, avec la sécheresse, les paysans n’arrivent plus à le nourrir. Son prix est passé de près de 1500 DH à 100 DH.
La relation entre les Marocains est l’âne daterait de milliers d’années. Le Maroc aurait été le premier pays à avoir domestiqué l’âne sauvage d’Afrique et en a été le premier exportateur dans le monde, jusqu’en 2007, vers la France, l’Espagne et le Portugal. L’importation a chuté à cause de la mécanisation et d’une pandémie. L’Union Européenne a arrêté l’importation et imposé des conditions sanitaires qui ont fait perdre le marché. Aujourd’hui, l’âne marocain s’exporte en Chine.
Vous les citadins, savez-vous que les ânes ne font pas que des ânes? Le croisement entre un âne et une jument (femelle du cheval) donne un mulet ou une mule (bghale et baghla).
Plus rarement, le croisement entre un cheval et une ânesse donne une variété de mule, les bardots. Leur nombre est moins important que le mulet: l’ânesse n’arrive pas toujours à mener à terme sa grossesse. En arabe dialectal, le bardot est nommé bghal ou baghla. Cheval avec ânesse ou âne avec jument donne des animaux stériles car leurs chromosomes ne sont que négatifs. Ils ressemblent plus à un cheval: plus grands et plus forts que les ânes, avec des oreilles plus petites.
En 2007, l’âne devient le symbole de la révolte contre le conformisme: un designer marocain, Amine Bendriouich, lance un T-shirt illustré par un âne et le slogan «hmar ou bikhir» («âne et bien dans ma peau»). Ce qui eut un grand succès dans le monde de la culture, auprès des jeunes.
Aux USA, l’âne est le symbole du parti démocrate car il est loyal, persévérant et supporte de lourdes charges sans broncher.
Contrairement au cheval, l’âne s’arrête face au danger, réfléchit avant d’agir. Le cheval, lui, s’enfuit et met son cavalier en péril.
L’âne tant méprisé est honoré près de Meknès, dans la Kasbah Ammar Zerhoun, qui organise le Festibaz, festival des ânes. La dernière édition, en 2019, a attiré plus de 5000 visiteurs nationaux, européens, américains et arabes du Golfe: expositions, conférences, carnaval… Un concours prime les ânes les plus embellis et les plus rapides. En 2019, ce fut Cléopâtre, une jolie ânesse, qui fut sacrée reine des ânes.
Il y aurait aujourd’hui plus de 900.000 ânes au Maroc. Un chiffre qui diminuera considérablement avec la mécanisation. Mais il restera toujours le compagnon des balades et des randonnées et fera le plaisir des enfants car il reste patient, gentil, sécurisant… Et intelligent!