Coucou, écoutez-moi... C’est moi, el kemmama, le masque, ou la bavette, si vous préférez!

Famille Naamane

ChroniqueJe suis devenu célèbre, objet de convoitises et d’enjeux politiques… Grâce à la pandémie!

Le 10/12/2021 à 11h00

Le Maroc a été l’un des premiers pays à me rendre obligatoire. Mon usage s’est généralisé, causant des pénuries mondiales.

Mon marché s’est développé à une vitesse vertigineuse. Des industriels marocains du textile, en pleine crise, se sont convertis en producteurs de masques. Je les ai sauvés! En 2020, l’Etat a fixé mon prix à 0,80 DH et interdit mon exportation tant que le marché marocain n’était pas couvert. Je suis exporté vers l’Afrique et de grandes puissances. Un média a donné au Maroc le titre de «Royaume du masque».

Jamais un produit n’a été autant distribué et vendu: grandes surfaces, épiceries, pharmacies, souks, marchands ambulants…

Mais connaissez-vous mon histoire?

J’existe depuis l’Antiquité, dans l’empire romain, j'étais porté par les mineurs, dans les mines espagnoles de cinabre, qui fournissaient le mercure aux Romains. Je les protégeais des vapeurs toxiques. J’étais fabriqué à partir de vessie animale, surtout le porc. Je ne protégeais pas des microbes car ils étaient encore inconnus, mais de la poussière et des matières toxiques.

Entre le quatorzième et dix-huitième siècle, il y eut plusieurs épidémies de peste.

Au seizième siècle, De Lorme, un médecin, inventa un masque en carton bouilli, ayant un long et large bec et deux trous pour respirer. Le bec était rempli de produits naturels désinfectants. Les médecins remplissaient leurs masques de thériaque, mélange de plus de 55 plantes médicinales, inventés des siècles auparavant par les Romains, de poudre de peau de vipères, de cannelle, clous de girofle, camphre… Cela, pour purifier l’air et ne pas être contaminé. On pensait que la contagion se faisait par les mauvaises odeurs. En plus du bec, les médecins portaient des gants en cuir et de longs manteaux. Cet accoutrement insolite fait partie aujourd’hui des déguisements du carnaval de Venise.

En 1870, Louis Pasteur, Français, découvrit les microbes et démontra qu’un microbe donne une maladie. En 1885, il inventa le vaccin contre la rage qu’il expérimenta sur un garçon mordu par un chien enragé. Ce fut un succès. 

La médecine avait enfin percé le mystère des maladies infectieuses, perçues comme une colère divine. Le vaccin a combattu les maladies infectieuses qui faisaient des ravages: tuberculose, diphtérie, tétanos, peste, rage… La découverte des microbes a donné naissance à l’asepsie et ensuite aux antibiotiques.

Mon aventure continue à travers les siècles. Lors de la Première Guerre mondiale, j’ai protégé les soldats européens de l’attaque allemande au gaz mortel.

Au lieu des compresses de gaze imbibées d'hyposulfite de sodium, je fus transformé en cagoules, plus efficaces.

En 1897, à Paris, j’ai été porté pour la première fois par un médecin. Me voilà devenu masque chirurgical, obligatoire dans les salles d’opération.

Bref, je vous sauve la vie. Walaaakine! Vous ne me faites pas tous confiance. Pourtant, il a été prouvé que je protège des postillons, ces gouttelettes de salive qui transmettent le virus.

Le Maroc a connu diverses épidémies ravageuses: choléra, variole, peste, lèpre, typhus… Il y a eu des confinements, l’enfermement des malades… Les gens se protégeaient en mettant la main devant la bouche. Les hommes qui portaient arrazza (le turban), en mettaient un morceau sur la bouche et le nez.

Certains se couvraient le visage avec un morceau de toile de khancha dial chmartel (sac de jute) ou une étoffe de laine.

Le textile était rare et moi, le masque confectionné, je n’existais pas au Maroc.

Dans ces masques improvisés, les gens mettaient el kafour, du camphre, qui provient d’une résine extraite par distillation des feuilles d’un arbre, le camphrier, qui pousse en Asie. 

Aujourd’hui, je suis une star. Mon image trône dans les plus grandes institutions, entreprises et lieux prestigieux, avec une consigne: masque obligatoire.

Les créateurs m’ont rendu fantaisiste, luxueux, drôle, diversifiant ma forme, ma matière première. Je deviens un accessoire de mode et je suis même offert en cadeau.

Parmi vous, il y a des sceptiques qui pensent que les Etats me recommandent juste pour enrichir les industriels. KDOUBE!

Vous me portez parfois avec sérieux, en respectant les normes de sécurité. Mais souvent seulement quand vous y êtes obligés. Le reste du temps, vous vous exposez et exposez les autres au danger.

Inconscients, certains d’entre vous me portent plusieurs jours ou me passent de personnes à personnes. Vous vous moquez parfois de ceux qui me portent et vous les traitez de peureux. Au lieu de les imiter, vous les ridiculisez.

Et s’il vous plaît, arrêtez de m’utiliser comme une boucle d’oreille qui pend toute la journée à une seule de vos oreilles, juste pour faire za’ma le discipliné.

Hchouuuuma, vous vous embrassez alors que vous me portez sur votre bouche humide, pleine de postillons. Lahmake, quand vous parlez à quelqu’un: vous vous en approchez et vous me mettez sur votre menton! Labsaaalate: vous me prenez pour une écharpe et me gardez sur le cou.

Mais avouez que je valorise vos yeux et rends votre regard séduisant.

Bissaraha, je vous protège du virus, mais vous êtes ingrats: vous m’utilisez pour polluer la planète. Je salis la rue, les champs, les océans…

‘Âaaafakoume, ne soyez pas égoïstes et inconscients. Ne détruisez pas votre planète!

Moi, le masque, je vous suis indispensable, mais je vous gêne, vous étouffe. Alors portez-moi myziane et bi annya (correctement et de bonne foi), et je disparaîtrais à tout jamais de votre vie. Ce que je souhaite ardemment. 

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 10/12/2021 à 11h00