Je dédie la médaille du Mérite à nous, Casablancais, pour notre courage à affronter les risques tous les mètres que nous avançons, à pied ou sur des roues.
Les non Casaouis nous admirent. Un ami de Rabat: «j’ai peur de conduire à Casa. Bravo à toi». Je gonfle ma poitrine de fierté, mon ego se réjouit, et…la chute: j’ai honte pour ma ville et pour les Bidaouis. La capitale économique du royaume! Hchouuma (honteux)!
Je ne comprends pas pourquoi trop de Bidaouis chaleureux, serviables deviennent agressifs et égoïstes au volant. «Casa est stressante», dit-on. Casa ou ses conducteurs ?
Vous quittez votre domicile le matin tout frais. Au coin de la rue, vous stressez à cause de chauffards. «Caaaalme, protège ta bonne humeur». Vos nerfs explosent. Une déferlante de contrariétés, d’agressions, d’incivilités. Le profil des chauffards? Tous confondus!
Les taxis méritent la palme d’or: arrêt brutal au milieu des rues, queues de poisson, sens inverse. Ils vous agressent avec les klaxons si vous respectez la limitation de vitesse… Si vous protestez: «moi je cours pour razqui » (mon gagne-pain), suivi de formules pas courtoises dont je vous fais grâce.
Un ami de Rabat: «je circule en taxi à Casa. Terrorisé, je m’agrippe au fauteuil, freine avec les pieds à chaque slalom effectué par le chauffeur, chaque feu brûlé».
Les autobus boudent l’espace qui leur est réservé et s’arrêtent au milieu du boulevard, doublent dans tous les sens, roulent alors que les passagers montent ou descendent.
Les automobilistes? Outre l’indiscipline, aucun penchant pour l’intérêt général: dans les embouteillages, ils avancent jusqu’à bloquer la circulation.
Les chauffeurs ignorent les couloirs et que pour passer d’un couloir à un autre, il faut activer le signal. Pour changer de couloir, j’ai beau signaler, faire des signes, les feux de détresse, walou. On klaxonne et on peut m’envoyer une salve d’insultes. Pourquoi les chauffeurs ne vous cèdent-ils pas la route, même dans l’autoroute. Comme si doubler était un manque de respect ou la spoliation d’un bien.
Les rond-points giratoires? Un spectacle de désolation lorsque les véhiculent s’entremêlent et qu’aucun conducteur ne cède le passage à un autre, juste par entêtement.
Aucun respect pour les piétons et leurs espaces. Si je m’arrête pour un piéton, je le mets en danger car il baisse la tête et avance, sans faire attention aux voitures ou motos qui foncent. Je me fais insulter par les conducteurs qui ont dû freiner. Un jour, j’ai dit à un homme, dans une belle voiture, qui hurlait: « et le piéton, il n’a pas droit à la ville?». Réponse: «watti zidi, malek, fil miricane (tu te crois en Amérique)?». No comment!
Pourquoi cette incivilité chez les conducteurs, alors que hors de leur engin, ils peuvent être courtois? Nos psychologues devraient se pencher sur la question.
Pour stationner, vous mettez votre signal, les feux de détresse, vous sortez votre main pour supplier… Walou! Les voitures et les motos avancent, vous insultent, klaxonnent. Vous voulez tourner mais la voie n’est pas libre? On vous agresse: «mais quoi, je n’ai pas le droit d’aller chez moi!».
Vous êtes une femme qui défend ses droits ? Souvent, les hommes vous lancent un mot qui commence par K en arabe (p…). Les femmes, elles, sont plutôt spécialistes du doigt, le majeur. Enfermés dans les voitures, les gens s’énervent, gesticulent, hurlent. Mais l’adversaire n’entend rien.
Où est l’humanisme des Bidaouis? La majorité d’eux ignore que l’on doit donner la priorité à l’ambulance. Si je klaxonne pour libérer le passage, je me fais agresser. Une femme m’a dit en rigolant «Malak makhlou3a, rahe ghire lamebilanesse (ce n’est que l’ambulance)». Ma réponse: «si elle transportait ta mère, tu ferais quoi?» Sa réponse vous choquerait les oreilles. Les cortèges mortuaires non plus ne suscitent aucun respect.
Les pires des conducteurs, des jeunes hommes nouvellement munis de permis de conduire. La friiiime sans aucune limite!
Les motocyclistes? L’anarchie totale. Si vous les effleurez ou plutôt s’ils vous effleurent, débute un scénario pathétique: ils s’étalent sur le sol, gémissent et négocient avec vous une indemnité. Vous êtes face à un dilemme: les cogner pour mauvaise foi et arnaque ou leur lancer un billet bleu (200 DH) pour retrouver votre liberté.
Dans certains quartiers périphériques, tel Ben Msik où je travaille, c’est le Far West: les charrettes tirées par les chevaux font la loi. Hallucinant!
Les piétons! Aucune discipline, traversent n’importe où, même à travers les rond-points. D’habitude ce sont les voitures qui agressent les piétons. Là, vous vous faites agresser par les piétons qui foncent sur vous.
Les meilleurs sont les triporteurs. Des motos travesties en véhicules utilitaires grâce au soin de ferronniers. Leur participation à l’anarchie est d’une extrême importance. Ils vous terrorisent, d’autant qu’ils peuvent être plus longs et plus larges qu’une voiture et ne nécessitent pas de permis de conduire.
Et cette manie de klaxonner dès que le feu rouge s’allume, pour vous préparer à démarrer dès que ça passe au vert!
Le stress de la conduite impacte le bien-être, le moral, le lien social et les sorties des Casablancais: «le soir, je rentre à la maison épuisé par la conduite. Je n’ai plus la force de sortir même si je suis invité».
Pourquoi faut-il des agents de circulation pour que les conducteurs soient disciplinés? Ne pouvons-nous pas être des citoyens responsables?
De la circulation automobile dépend l’image de marque d’une ville et de sa population. Casablanca donne une piètre image d’elle-même. J’en ai honte!