Akhannouch ambitionne d’augmenter le taux d’activité féminin de 20 à 30%? Oui, mais…

Famille Naamane

ChroniqueModernes dans un environnement qui ne l’est pas encore tout à fait, que de femmes abandonnent leurs projets de carrière, d’épanouissement, d’autonomie.

Le 22/10/2021 à 11h00

Les Marocaines ont toujours travaillé, même enfermées: leurs doigts magiques produisaient divers articles, vendus par les hommes. Elles cachaient une petite somme d’argent pour douyère zmane (les imprévus).

Après l’indépendance, le travail féminin rémunéré fut apprécié par les familles pour améliorer leurs revenus. Les fillettes furent exploitées et devinrent ouvrières et petites bonnes.

La scolarisation va leur permettre d’échapper au travail précoce et de rêver de travail valorisant. La contribution féminine dans le budget familial et conjugal est considérable. Un foyer sur six est exclusivement pourvu par une femme.

Souvent, on parle du travail des femmes comme un choix: la majorité écrasante des femmes travaillent par besoin. Parmi les femmes divorcées, 43,7% travaillent, 17% seulement mariées et 26,2%, célibataires.

Le Maroc compte autant de femmes que d’hommes: 18 millions de femmes, soit 50,3% de la population. Désolée de vous décevoir, Messieurs. Vous pensez que pour chaque homme, il y a 3, 4 ou 10 femmes. Ce qui justifie selon vous la polygamie! 13,4 millions de femmes sont en âge de travailler.

Mais leur taux d’activité est bas et en baisse: 26,8 % en 2013; 20% aujourd’hui! Beaucoup de femmes ont une activité économique à domicile ou dans la rue, sans la déclarer. Un taux de 20% est inférieur à la réalité. Les rurales sont plus nombreuses à travailler que les citadines: 27% contre 18%.

Alors que le taux de scolarisation féminine augmente, le nombre de femmes au travail diminue!

L’une des raisons est que les salaires sont trop bas, surtout pour des femmes sans qualification: 6 femmes actives sur 10 n’ont aucun diplôme (90% parmi les rurales, 33% parmi les citadines).

Le chômage touche plus de femmes (13,5%) que d’hommes (7,8%): 8 sur 10 ont moins de 35 ans et près de 9 sur 10 sont diplômées.

Les femmes sont sous-employées et acceptent n’importe quel emploi pour aider leur famille.

Un bac+5 est rétribué à une moyenne de 4 000 DH par mois! Le SMIG est à 2 698 DH. Ce qui n’encourage pas à travailler, surtout si la femme est mariée et a des enfants. Le couple prend la décision douloureuse d’arrêter l’activité de l’épouse alors qu’il en a grandement besoin. Pourquoi? Parce que la condition féminine a évolué plus vite que son environnement!

La charge du foyer revient toujours à la femme et même si de jeunes époux commencent à aider, la majorité est prisonnière de préjugés liés à la virilité.

La femme qui travaille endosse les responsabilités dans le foyer et en dehors de celui-ci. Quand elle a des enfants, dont le nombre ne dépasse plus deux, elle est exténuée. Les habitudes alimentaires restent traditionnelles et les époux sont exigeants.

Ces époux ont, eux, après le travail, des activités. Quand ils reviennent au foyer, ils sont reposés, face à une épouse sur ses nerfs, débordée. La relation du couple dépérit, l’époux négligé la harcelle l’épouse ingrate. Un stress permanent.

La nucléarisation des ménages a privé les épouses de l’aide familiale. Le coût des aides ménagères est inaccessible.

L’enseignement défaillant est une source de stress: les devoirs à domicile sont très lourds. Si la mère travaille, elle est épuisée et ne peut aider ses enfants. Elle doit leur payer des cours supplémentaires. Impossible.

Les femmes modernes subissent encore la pression des traditions. Rim: «le soir, ma famille et ma belle-famille arrivent à l’improviste. Le lendemain je suis exténuée». C’est pire quand la famille habite une autre ville et s’installe chez le couple.

La garde des enfants. Un grand obstacle! La solidarité du voisinage est en disparition. Il y a des voisines qui gardent les enfants chez elles, mais sans qualification, pour 300 à 600 DH par mois. Les crèches sont rares et hors de prix: entre 800 à 4 500 DH/mois. Trop cher, surtout quand il y a deux enfants. Elles ferment en juillet et août. Que faire des enfants? Beaucoup de femmes déposent leurs enfants du dimanche au vendredi chez leur mère ou leur belle-mère ou les confient à leur mère qui habite une autre ville. Un déchirement!

Les horaires scolaires ne correspondent pas à ceux du travail. Que faire des enfants à la sortie de l’école? Il n’y a pas de permanence dans les établissements scolaires, pas de clubs de quartier pour distraire et garder les enfants en attendant le retour des parents. La galère!

Sans oublier que de nombreuses femmes doivent s’occuper, après une journée de travail, de leurs parents malades, puisque les frères ne peuvent le faire.

Si la femme travaille, son salaire est si bas, qu’entre les frais de transport, de restauration, de garde des enfants, de crèche… Il ne reste rien ou pas grand-chose qui justifie son stress énorme. Moderne, dans un environnement qui ne l’est pas encore tout à fait, que de femmes abandonnent leurs rêves de carrière, d’épanouissement, d’autonomie.

Elever le taux d’activité des femmes à 30%... Très louable. Mais impossible sans leur assurer un environnement adapté à leurs besoins.

Un appui à la création de 12 000 crèches a été annoncée par le gouvernement. Mais attention. Nous n’avons pas d’éducateurs spécialisés dans la petite enfance.

L’exemple des établissements préscolaires n’est pas satisfaisant: très souvent, les enfants sont entassés dans des pièces lugubres, surveillés par du personnel non qualifié, sans outils pédagogiques, ni matières d’éveil. Surtout en milieu rural. Des crèches, oui, mais qui respectent les normes professionnelles et qui soient régulièrement contrôlées.

Si le travail féminin n’est pas un choix, ne pas travailler est rarement un choix. Les femmes méritent d’être encouragées, pour elles-mêmes et pour améliorer le niveau de vie des familles. 

Par Soumaya Naamane Guessous
Le 22/10/2021 à 11h00