Tous ceux qui sont déjà montés dans un avion le savent: le meilleur moment est celui qui précède l’atterrissage de quelques minutes, quand l’appareil descend lentement et semble flotter dans le ciel, comme en apesanteur, survolant les premières maisons, les premiers champs, les premiers signes de vie, ce moment précis où les passagers penchent la tête pour regarder le défilement de ces images extraordinaires.
Ce moment est magique parce que le temps s’arrête et celui qui regarde est saisi d’une étrange sensation de plénitude. Autour de lui et surtout en bas, tout devient irréel. Parce que tout se passe dans sa tête. Comme dans un songe, une douce rêverie.
C’est un spectacle et un sentiment dont on ne se lasse jamais. Même quand on retrouve la ville et le pays que l’on connaît le mieux: les nôtres. Parce que, vu du ciel, tout semble en paix et en harmonie. C’est apaisant. Les champs sont si bien découpés. Tout est calme, tout est en ordre.
C’est ce principe du film en apesanteur, vu d’en haut, qui a fait le succès immédiat du "Maroc vu du ciel" qui vient d’être diffusé par France 2. Ça et la voix off conciliante d’Ali Baddou qui raconte son Maroc éternel, celui qui passe par la ville sainte de Moulay Driss Zerhoun et les remparts de Volubilis, avant de se perdre dans les tanneries de Fès, les Casbahs du Sud-Est, les falaises de l’Atlantique, etc.
Ce soir-là, ce n’est pas la vérité du Maroc qui a été proposée aux téléspectateurs, mais un rêve du Maroc, un certain Maroc, vu d’en haut, un Maroc en ordre de marche, où chaque élément est à sa place. Quelque chose qui prête à la rêverie.
Oui, bien sûr, le Maroc vu du ciel, filmé comme un magnifique clip promotionnel, est une ode vibrante au… Au quoi, au juste? Un film comme ça n’a, au fond, que la vocation de faire aimer un pays. Il est, je crois, d’abord destiné aux Marocains et à ceux qui connaissent le Maroc. A ceux qui l’aiment mais qui lui en veulent un peu quand même. A ceux qui ont un tic ou un grincement, c'est-à-dire à la majorité d’entre nous. A cause du bruit, du désordre, à cause aussi de certains détails plus personnels.
Je le dis sans cynisme: le film de Yann Arthus-Bertrand aurait pu avoir comme signature, tout en bas du cadre: «Bienvenue au plus beau pays du monde». C’est cela, au fond, l’idée qu’il nous vend. Avec la promesse d’une réconciliation. Oui, ce plus beau pays au monde qui est le nôtre.
Mais, comme pour nous rappeler que tous les pays sont beaux quand on les voit du ciel, le réalisateur et le diffuseur ont eu l’astucieuse idée de nous envoyer, coup sur coup, le Maroc et l’Algérie vus du ciel. Deux films qui portent le même message subliminal: chacun de ces deux pays est le plus beau au monde. Vu du ciel, bien sûr.
Vu d’en bas, c’est une autre histoire !
Je suis certain que beaucoup de Marocains et d’Algériens ont dû se dire, après avoir contemplé les deux pays vus d’en haut: mais qu’attendons-nous pour rouvrir nos frontières? Qu’attendons-nous pour nous aimer de nouveau, et pour plonger les uns dans les bras des autres?
C’est tant mieux. Même si, encore une fois, et vu d’en bas, c’est une autre histoire!