Michael

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ChroniqueLe monde se divise en deux. Il y a ceux qui ont réveillonné au moins une fois en dansant sur Careless whisper ou Last christmas et ceux qui sont passés à côté…

Le 31/12/2016 à 18h29

En 1984, je suis à quelques mois du bac et le Maroc vient de lancer le fameux plan d’ajustement structurel pour tenter d’absorber la crise économique. C’est le sujet de l’heure. L’autre sujet, c’est Careless whisper. Le slow qui tue, avec voix de velours, paroles de miel et solo de saxophone qui roucoule comme un oiseau en amour.

Je suis dans un lycée de riches et tout le monde autour de moi parle de George Michael. On me dit : «Et toi, tu aimes ?». Je m’empêche de dire oui. Je suis issu d’une culture plus rock et brute de décoffrage, j’ai d’autres modèles, d’autres références, je préfère la poussière de la rue au confort des salons, alors je dis non, moi je déteste George Michael parce que est un pur produit marketing, il a tout faux, trop beau, trop blond, trop lisse, trop niais. Evidemment.

En réalité, j’ai appris à écouter le minet depuis Last christmas, à la production léchée, terriblement romantique. Mais je ne le dis à personne. C’est mon petit secret.

Devant les autres, je haïssais George Michael, que je surnommais Blondin comme Eli Wallach appelait Clint Eastwood dans Le Bon, la brute et le truand. Mais quand je m’enfermais chez moi, sans témoin, seul dans ma petite chambre aux murs tapissés de posters d’écrivains maudits et de gangsters, j’écoutais le Blondin comme un fruit défendu, un plaisir inavoué. Et je laissais tomber le masque: oui, ce type chante merveilleusement bien. Oui, j’aime, j’aime. Et non, je ne peux pas le dire, je refuse de le dire…

Au quartier, dans le derb, les gosses ont appris à danser le slow sur Careless whisper. Ils étaient tout heureux parce que c’était la seule occasion, pour eux, d’approcher des filles qui les snobaient et leur tournaient continuellement le dos. L’un de ces gosses avait commis un impair en déclarant, un jour : «Moi, j’aime par-dessus tout les frères Michael». Il croyait que Michael Jackson, qui cartonnait encore avec Thriller, était de la même famille que George Michael…

Cette année-là, les adultes parlaient du plan d’ajustement structurel et nous, les jeunes, les boutonneux, on débattait de la prochaine surprise-party. Chez qui on allait se déplacer le weekend ? Pour écouter quoi ? Qui ferait le DJ ? Qui ouvrirait le bal de danse ? Qui danserait le slow en premier ? Et dans les bras de quelle fille ? Qui serait habillé en cuir et qui s’occuperait de rouler nos joints ? Surtout, surtout, qui resterait pour la dernière danse, la danse de la dernière chance, le slow du moment, celui qui tue, avec une chance sur deux de séduire la fille la plus belle de la soirée ?

Pour le réveillon 1984, un mélange de bronchite et de migraine m’a empêché de me rendre à la surprise-party avec Lionel Ritchie, l’ébouriffante Cyndi Lauper et les inévitables «frères Michael» en boucle sur la platine. J’ai brillé par mon absence et c’est le genre de soirée où les absents ont forcément tort… Bien sûr, on m’a tout raconté dès le lendemain. On m’a dit que Careless whisper avait fait un tabac. Et, comme je le redoutais, mon pire ennemi s’était fait élire homme de la soirée pour avoir dansé le slow dans les bras de la plus belle fille du lycée…

Que votre nuit du réveillon soit douce et agréable et à l’année prochaine, ami(e)s lecteurs.

Par Karim Boukhari
Le 31/12/2016 à 18h29