Le crime de manger, boire ou fumer

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ChroniqueDans le monde arabe, il est tout à fait possible, et même courant, d’envoyer les gens en prison pour ce qu’ils mangent, boivent ou fument.

Le 13/12/2015 à 00h58

Trois artistes tunisiens viennent d’être condamnés à un an de prison ferme…pour avoir consommé du cannabis. Stupéfiant. Je ne sais pas s’il faut en rire ou en pleurer. Mais comment diable le pays de la révolution du jasmin, le pays de Bourguiba et de Ferhat Hachad, ce pays réputé pour son ouverture et sa tolérance, a-t-il fait pour en arriver là ?

Bien entendu, comme on est dans le monde arabe, et que ce monde arabe n’arrêtera jamais de nous étonner par son extraordinaire mélange d’hypocrisie et de schizophrène, cette affaire de cannabis en cache une autre. Les artistes dérangeaient et le cannabis n’est qu’un prétexte pour les mettre à l’ombre et les réduire ainsi au silence.

C’est une spécialité du monde arabe. Partout, les artistes et plus généralement les citoyens engagés ont droit à de faux procès et sont condamnés pour de sordides histoires de mœurs. Pourquoi ? Pour maquiller le mobile de l’arrestation et enlever aux artistes leur statut de détenu d’opinion. La Tunisie, comme la plupart des pays de ce monde arabe, n’a donc officiellement aucun détenu d’opinion.C’est une comédie. Un leurre. Je dirais même une mascarade.

Ceci dit, il y a un autre niveau de lecture dans cette histoire de cannabis. Et ce niveau est plus inquiétant. Les pays arabes souffrent de la montée du salafisme et, plus généralement, du radicalisme islamiste. Pour contrer le phénomène, les Etats, qui contrôlent directement les appareils judiciaires, hésitent entre deux voies totalement opposées. La première : libéraliser les mœurs pour noyer l’extrémisme et formater une société plus ouverte, moins encline à la tentation intégriste. La deuxième : réprimander le libéralisme de la société pour couper l’herbe sous le pied des extrémistes, ce qui revient à se montrer plus extrémiste que les extrémistes.

C’est la deuxième voie qui est empruntée aujourd’hui. Du temps de Bourguiba, qui était pourtant tout sauf un démocrate, la Tunisie jouait la carte de la libéralisation des mœurs pour contrer la pensée salafiste. Aujourd’hui, alors que le pays fait ses premiers pas en démocratie, elle joue la carte de la fermeture. Cela s’appelle une évolution, et elle est mauvaise.

Mais le cas de la Tunisie est loin d’être isolé. Il incarne la tendance nouvelle du monde arabe. Nous avons partout des Etats et des gouvernements qui font le jeu des extrémistes en croyant ainsi les contrer. Ils se trompent.

Mais ne nous étonnons pas de voir déferler, partout dans ce triste monde arabe, des gens condamnés à de la prison pour ce qu’ils mangent, boivent ou fument, mais aussi pour ce qu’ils disent ou écrivent. Les Etats et les gouvernements croient ainsi contrecarrer la montée de l’extrémisme, mais ils sont bien les seuls à le croire !

Par Karim Boukhari
Le 13/12/2015 à 00h58