La femme, ce problème !

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ChroniqueIci et là, des anecdotes et des petites choses nous rappellent, au cas où nous l’aurions oublié, que dans l’esprit de beaucoup de personnes, femmes et problèmes vont souvent de pair. Jusqu’à quand ?

Le 09/01/2016 à 21h23

J’ai lu quelque part qu’à Salé, un gargotier refuse de servir les femmes. Les hommes peuvent s’attabler, et les femmes non. Elles sont indésirables. Pourquoi ? Une pancarte écrite à la main indique: «Pour éviter les problèmes!».

Cette petite anecdote de rien du tout nous rappelle, au cas où nous l’aurions oublié, que dans l’esprit de beaucoup de personnes, femmes et problèmes vont souvent de pair. Pour éviter les problèmes, il faut éviter d’avoir des femmes en face. Effaçons-les et les problèmes s’effaceront d’eux-mêmes.

Mais de quels «problèmes» parlons-nous, au juste? Il suffit de circuler dans nos rues pour obtenir la réponse. La présence de femmes, dit-on, attise la convoitise des mâles. C’est la porte ouverte, alors, au désordre et à la fitna. Une femme en vue, c’est automatiquement un groupe de mâles soudainement en chaleur et en proie à toutes les folies. Tout est alors possible, et surtout le pire. Pour un commerçant, qui sert la soupe ou des repas bon marché, la mixité est un problème et il suffit qu’une «femelle» débarque pour semer la zizanie et tout réduire en miettes.

Le réflexe et la pensée moyenâgeuse du gargotier de Salé ne sont pas isolés. Ils sont même monnaie courante. J’ai assisté, un jour, à une scène au cœur d’un restaurant casablancais: deux jeunes femmes, seules, que le serveur refuse de servir. D’abord il les ignore et refuse de répondre à leurs appels désespérés, ensuite il leur dit clairement: «On ne vous servira pas». Les jeunes femmes regardent autour d’elles et remarquent la présence d’autres femmes. Elles reviennent vers le serveur: «Nous ne sommes pas les seules femmes ici, pourquoi vous les servez, elles, et pas nous?». «Parce que vous êtes seules!».

J’ai demandé au serveur, plus tard, si le restaurant était interdit «aux femmes seules». J’ai eu droit à une réponse extraordinaire: «Oui, si elles sont Marocaines, non si elles sont Européennes!». J’ai demandé si c’était écrit quelque part. Non, bien sûr que non. Pourquoi alors refuser de servir des femmes marocaines seules ? Nouvelle réponse extraordinaire: «C’est le patron qui décide, c’est un homme d’expérience, il sait de quoi sont faits les femmes et les hommes. Surtout au Maroc!».

Les femmes et les hommes, «surtout au Maroc», ne seraient donc faits que d’un sexe qui prend toute la place et déborde de partout. Tout le reste est accessoire. Le sexe occupe la place centrale, la fonction principale. C’est lui qui décide de tout et surtout du mal. Coupons cette fonction et nous voilà en paix avec nous-mêmes.

Donc non aux femmes. Surtout celles qui deviennent une cible claire et accessible : les femmes marocaines, les femmes sans homme – protecteur.

Comme on peut le voir, les récents progrès de la société marocaine n’ont pas effacé tous les réflexes sexistes et machistes qui sont le propre des sociétés arriérées. Ces réflexes ressemblent à des dents qui font mal mais qu’il est très difficile d’arracher. Il va falloir pourtant les arracher.

J’ai appris que le gargotier de Salé a été fermé. Je dis: bravo. Le problème, c’est que le gargotier du moyen-âge n’a pas été fermé pour avoir refusé de servir des femmes… mais parce qu’il n’avait aucune autorisation d’exercer. Résultat : il risque, demain, de rouvrir… et de continuer de refuser de servir les femmes.

Par Karim Boukhari
Le 09/01/2016 à 21h23