Khashoggi toi-même!

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ChroniquePendant ce temps, le monde arabe ne dit rien. Ses dirigeants n’ont peut-être rien à vendre à Riyad, à part leur silence. Qui est d’or et de pétrole, étant donné les circonstances.

Le 03/11/2018 à 17h03

Le monde va bien, merci. La preuve: le meurtre crapuleux du journaliste Jamal Khashoggi. Ça indigne tout le monde. Nous avons Angela Merkel, la géniale première dame allemande qui nous dit quelque chose comme: «puisque c’est comme ça, nous n’allons plus vendre d’armes à l’Arabie Saoudite!». Et…C’est tout.

Quel courage! Quelle fermeté!

Ne riez pas. Madame la chancelière, qui est une grande humaniste, a beaucoup plus de courage que ses voisins. Elle ne va plus vendre aucune arme aux Saoudiens. C’est une sanction dure, dure, mais pour et contre qui: les Saoudiens qui vont s’armer chez la concurrence (qui n’en demande pas tant)? Ou les marchands d’arme allemands, qui vont devoir se trouver de nouveaux marchés?

C’est peut-être Trump qui a eu le fin mot dans cette histoire. Il a dit, sans sourciller: «ok, je suis d’accord pour sanctionner les Saoudiens… Mais si je ne leur vends plus d’armes, vous voulez qu’ils aillent s’approvisionner chez les Russes? Les Chinois?». C’est du super Trump, quelque chose qui vient du fond du cœur et qui ne ment pas, ne riez pas. S’il vous plait!

D’un côté, nous avons un homme qui a été tué et probablement découpé en petits morceaux à l’intérieur d’un consulat. Dieu ait son âme. En face, nous avons une opinion mondiale indignée. Et nous avons des dirigeants qui s’inquiètent à l’idée de savoir qui va récupérer les gros contrats de vente d’armes à l’Arabie Saoudite. Dans le but ultime, bien entendu, d’assurer la stabilité du Proche et Moyen Orient.

Comme il va, le monde dans lequel nous vivons est peut-être en train de s’inventer de nouvelles règles, de nouveaux codes. Il était temps. Règle numéro un: vendre des armes à nos amis pour guerroyer contre nos ennemis. Règle numéro deux: sanctionner nos amis, quand ils sont en faute, en arrêtant de les fournir en armes. Règle numéro trois: ne pas hésiter à retourner à la règle numéro un, parce qu’il faut bien vendre des armes, et de préférence à nos amis.

Comme vous le voyez, nous ne sommes plus loin du Fight Club, où les uns tapent sur les autres et, à un moment donné, ne savent plus pourquoi. 

Pendant ce temps, le monde arabe ne dit rien. Ses dirigeants n’ont peut-être rien à vendre à Riyad, à part leur silence. Qui est d’or et de pétrole, étant donné les circonstances. Ils se taisent. Ils ont aussi des choses sur la conscience. Comment voulez-vous qu’ils s’en prennent à un pays qui est au cœur du monde arabe et musulman, qui est riche?

A côté de tout cela, et pour nous aider à comprendre, nous avons des experts qui nous expliquent que les Américains ont peut-être couvert les Saoudiens avant de les piéger, et que les Turcs aussi. Allez-y, on vous couvre…

Sauf qu’il y a eu un mais, un hic, un retournement de situation, un «cliff» pour emprunter au langage des séries télé. Pourquoi donc? Mais réveillez-vous: les Américains veulent la fin de la guerre au Yémen. Les Turcs aussi. Américains et Turcs vont peut-être en devenir amis, une fois pour toutes. Les Américains négocieront par ailleurs de meilleurs contrats avec les Saoudiens, et les Turcs une meilleure image dans le monde libre. En termes de marché, c’est du win-win.

Vous avez compris quelque chose à tout cela? Moi si: un homme a été dépecé à l’intérieur d’un consulat et les grands de ce monde sont en train d’en tirer le meilleur parti. Rien n’empêchera donc la roue de tourner.

Dernière chose: si vous vous sentez plus ou moins «khashoggisé» par cette histoire, eh bien pas moi. Et ne me demandez surtout pas pourquoi! 

Par Karim Boukhari
Le 03/11/2018 à 17h03