Vidéos. Affaire Ikram: les Marocains demandent des peines plus sévères pour punir la pédophilie

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Le 14/06/2020 à 10h04

VidéoL’affaire de la petite Ikram a secoué l’opinion publique cette semaine et relance le débat sur la pédophilie au Maroc. Dans ce contexte, Le360 s’est entretenu avec Najia Adib, présidente de l’association "Touche pas à mes enfants" et a recueilli l’avis des Marocains, vendredi 13 juin, à Rabat.

En début de semaine, l’affaire de la petite Ikram a refait surgir un fléau ancré dans notre société: la pédophilie.

Un rappel des faits: dans la région de Tata, une fillette de 6 ans, Ikram, a été violée par un homme d’une quarantaine d’années, voisin de la famille, et lui-même père de quatre enfants.

En fin de semaine dernière, suite au retrait de la plainte par le père de la petite fille, le présumé coupable a bénéficié d'une mise en liberté sous caution, après avoir passé 12 heures en détention.

Cette décision a provoqué l’indignation de la société civile, poussant une ONG locale, le Forum Iffous pour la démocratie et les droits de l’homme, à révéler cette affaire, créant une vague de soutien et de mobilisation de tout les Marocains à travers le royaume.

Sur le web, un hasthag a été créé, «Justice for Ikram», et une pétition en ligne a atteint plus de 213.000 signatures à ce jour. Un sit-in a été organisé le mardi 9 juin dernier devant la Bachaouia de Fam El Hisn, dans la province de Tata.

Le mercredi 10 juin, sur ordre du Parquet, le présumé coupable a été placé en détention. La Chambre criminelle près de la cour d'appel d'Agadir a accepté la demande de recours de la société civile. La prochaine audience est fixée au 1er septembre 2020. 

«Malheureusement le nombre d’affaires de pédophilie est en hausse dans notre pays. (...) Aujourd’hui la pédophilie n’est plus un tabou, tout le monde en parle mais il subsiste quelques obstacles majeurs dans la société qui laisse ce genre de choses se produire», dénonce Najia Adib, présidente de l’association Touche pas à mes enfants.

L’ensemble des personnes interrogées lors de notre micro-trottoir s’indignent et sont catégoriques, tous réclament la peine capitale à l’encontre des pédophiles.

Selon Najia Adib, plusieurs articles de loi du code pénal permettraient de multiplier les charges à l’encontre des pédophiles et de rallonger leur peine jusqu'à 30 ans d’emprisonnement, mais cela reste rare.

«En ne passant qu'un ou deux ans en prison, cela encourage les pédophiles à récidiver. Ces peines ne sont pas assez lourdes, alors qu’on ne parle pas d’un vol de porte monnaie, on parle d’un enfant, c’est le futur de notre société», déplore la militante associative.

«De plus, les présumés coupables d’agression sexuelle sur mineur bénéficient d'une mise en liberté provisoire ou d'une liberté sous caution, comme cela a été le cas dans l’affaire d’Ikram, et sont libres jusqu'à leur procès. Dans la plupart des cas les coupables sont dans l’entourage de la famille, souvent des voisins ou du même quartier, les victimes et les familles de victimes voient le coupable jouir de cette liberté et peut même se permettre de les narguer», ajoute-t-elle.

Selon les statistiques fournies par l’association, dans 75% des cas, le coupable est un proche de la famille, un membre de la famille ou habite le voisinage.

Les 25% restants se partagent entre le personnel enseignant (9%), des étrangers à la victime (7%) et autres.

La peur de la honte«Dans les petites villes ou les petits villages quand un enfant est victime d’un abus sexuel ou d’un viol, les familles préfèrent le cacher par peur de la honte et ce mutisme participe a renforcer l’impunité dont jouisse les pédophiles dans notre pays. Ces familles, par leur silence, sont complices», explique Najia Adib. 

Face à une société moralisatrice qui juge, la honte, la «hchouma», la peur du déshonneur, la peur de ne pas pouvoir marier, plus tard, les filles, font que les familles préfèrent se réfugier dans le silence, et ne pas demander justice pour les victimes.

«Il est nécessaire que l’Etat intervienne et protège ses enfants, ils sont l’avenir du pays. Si les parents ne portent pas plainte, l’Etat devrait intervenir et poursuivre les coupables, autrement cela ne s’arrêtera jamais», s’indigne la présidente de l’association Touche pas à mes enfants.

Une trace indélébileInterrogé sur la possibilité d’avoir une vie « normale » après avoir été victime d’un pédophile, Najia Adib répond que plusieurs paramètres entrent en jeu.

«Tout d’abord, il est essentiel d’avoir un accompagnement psychologique, c’est indispensable. L’entourage aussi joue un rôle important. Une famille compréhensive, aimante qui va faire comprendre à l’enfant que le seul coupable est le pédophile, c’est important. Malheureusement souvent les familles accablent l’enfant avec des "pourquoi": "pourquoi tu as été avec lui?", "pourquoi tu as fait ceci et cela?"... Ce genre de comportements fait ressentir à l’enfant qu’il est coupable, alors qu’il n’est qu'une victime» explique-t-elle.

Cependant cet acte qui se produit dans l’enfance laisse des séquelles psychologiques et des traces indélébiles qui impactent la vie d’adulte de la victime.

«Cela impacte sur ses relations, au sein de son couple, sur son travail, sur la relation avec ses enfants… Un enfant peut tout oublier, les coups, les blessures… Mais un abus sexuel, jamais. C’est quelque chose qu’il garde toute sa vie, jusqu'à la tombe», conclut Najia Adib.

Par Mehdi Heurteloup et Saad Aouidy
Le 14/06/2020 à 10h04