Une aile de l’Institut National d’Oncologie dédiée aux malades du Covid-19: une fausse bonne idée?

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Un bâtiment de l’Institut National d’Oncologie à Rabat a été réservé au traitement des patients du Covid-19. Le choix est-il pertinent, sachant que les personnes atteintes d’un cancer souffrent d’un système immunitaire considérablement affaibli?

Le 19/04/2020 à 10h52

A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Aujourd’hui, hôpitaux publics et cliniques privées sont mobilisés de la même manière pour accueillir les malades du Covid-19, sans compter les hôpitaux de campagne déployés par les Forces Armées Royales.

Au Maroc, comme ailleurs, l’heure est à la mobilisation et surtout, chose qui fait la force du Maroc actuellement, à l’application de mesures préventives. Ainsi, pour ne pas être au dépourvu dans le cas d’une flambée de patients contaminés par le Covid-19, les autorités se préparent et invitent à la mobilisation générale et au volontariat. «On ne sait jamais»… Une phrase qui revient en boucle.

Toutefois, l’une de ces mesures de prévention a fait grincer les dents de quelques praticiens à Rabat. En effet, parmi les établissements hospitaliers mobilisés dans le traitement du Covid-19, figure l’Institut National d’Oncologie (INO). Pourquoi ce mécontentement? Certainement pas par mauvaise volonté, mais parce que les patients atteints de cancers sont particulièrement fragiles et qu’on ne saurait prendre le risque, de quelle que manière que ce soit, de les exposer au Covid-19.

L’impossible cohabitation du cancer et du Covid-19Contacté à ce sujet par Le360, le professeur Raouf Mohsine, chef de service de chirurgie oncologie digestive à l’INO, se veut toutefois rassurant, bien qu’à son avis, poser la question du bien-fondé d’une aile Covid-19 dans un centre d’oncologie soit pertinent.

«C’est un mauvais choix», a-t-il ainsi pensé de prime abord, avant de s’adapter, à l’instar de ses collègues, à l’urgence de la situation.

L’ouverture de cette aile, bien qu’elle ait été pensée comme «un dernier recours», est compréhensible selon le professeur.

«On ne peut pas prédire l’évolution des choses. Pour le moment, le Maroc ne compte pas beaucoup de cas graves, mais qui nous dit que demain ça ne va pas évoluer en 24 ou 48 heures?», confie-t-il.

«C’est pour ça qu’ils (le ministère de la Santé et les autorités publiques) ont préféré se préparer à l’avance. Je les comprends», conçoit le professeur Raouf Mohsine.

La manière dont l’Institut National d’Oncologie de Rabat a ensuite été compartimenté a fini par venir à bout de certaines réticences.

«Nous avons divisé l’INO en deux parties. L’une est réservée aux patients atteints de Covid-19 et l’autre est ouverte aux autres types de patients», rassure-t-il ainsi.

Les deux bâtiments sont situés à bonne distance l’un de l’autre avec deux entrées distinctes, nous explique le professeur Mohsine Raouf, en précisant qu’à ce jour «aucun cas de Covid 19 n’a été admis dans cette nouvelle aile».

A l’exception tout du moins «de quelques personnes suspectes, admises le temps que des tests soient réalisés», a-t-il convenu. 

Certes il n’y a pas de contact entre les deux bâtiments, mais l’équipe médicale passe d’une aile à l’autre, car en dédiant ce bâtiment aux patients du Covid-19, l’INO doit également mettre en place des équipes de médecins dédiés au traitement des patients de cette nouvelle aile.

«C’est notre équipe qui va gérer», annonce le professeur Raouf Mohsine. «Cela relève de la volonté de chacun, mais aussi du courage des médecins qui se portent volontaires pour faire des gardes dédiées aux Covid-19».

Et de préciser toutefois que pour la plupart, ce «sont des enseignants agrégés qui assurent ces gardes» et qu’en concertation avec la direction, «des quarts» sont organisés, sans compter bien entendu que «les mesures qu’il faut» ont été prises et sont appliquées sérieusement.

«Beaucoup de personnes se sont portées volontaires. C’est extraordinaire!», s’exclame-t-il, en citant les différentes unités, le personnel médical, le staff administratif, les agrégés, les professeurs... «Tout le monde est là». 

Les services d’oncologie au ralentiLa pandémie de Covid-19 monopolise toute l’attention, mais ce n’est pas pour autant que les autres maladies ont disparu comme par miracle. Entre confinement et crainte d’être contaminé avec un système immunitaire défaillant, se soigner, quand on est sujet à une maladie chronique, relève du parcours du combattant.

Si on pouvait s’attendre à ce que les services d’oncologie continuent de travailler à plein régime, il n’en est rien à l’INO.

«Notre activité est quelque peu réduite», confirme le professeur Mohsine Raouf en expliquant que certains patients, qui habitent loin, ne sont pas en mesure de se déplacer. Pour ceux-là, l’INO a demandé au ministère de la Santé de consentir à un effort supplémentaire en les transportant à l’hôpital quand nécessaire.

Mais dans d’autres cas, les patients ne veulent plus venir. «Certains malades refusent de se faire opérer», annonce le spécialiste, qui explique leur décision par la crainte de personnes déjà fragilisées de contracter le Covid-19 en sortant de chez elles.

Alors comment faire pour traiter les patients dans des circonstances pareilles? «Nous sommes obligés de faire des choix», annonce le chef de service de chirurgie oncologie digestive, en précisant que «les malades qui sont en traitement curatif sont suivis de très près.»

Mais s’agissant des «services dédiés aux traitements palliatifs, une réduction de l’activité est à noter qui nous impose de faire des choix».

Les «choix» impliquent ici la décision d’opter pour une administration du traitement par voie orale, plutôt que veineuse, et ce, afin de limiter les déplacements des patients et éviter les rassemblements à l’hôpital.

Bien entendu, les patients sujets à une chimiothérapie ou une radiothérapie continuent leur traitement normalement, explique, rassurant, le professeur Raouf Mohsine.

«Les malades ne sont pas délaissés», explique-t-il, mais «il y a des protocoles qui ont changé en fonction des médecins».

Concrètement, à l’INO, on tire les bénéfices d’un système d’information informatisé, qui permet d’accéder aux dossiers de chaque patient facilement. Bien plus pratique, pour le suivi de chaque cas, rester en contact avec les patients, être à leur écoute et les orienter quant à la marche à suivre.

Malheureusement, malgré toutes les précautions prises et toute la bonne volonté du monde, «il y aura des répercussions sur ces malades», prédit le professeur Raouf Mohsine en regrettant le fait que toute l’attention soit portée sur la pandémie, quitte à oublier d'autres pathologies.

Car en plus de la peur des patients atteints d'un cancer de se déplacer, et de se faire opérer, un problème de taille se fait de plus en plus pressant: celui de la pénurie de sang.

«Les problèmes s’accumulent», conçoit-il, avec une pensée particulière «pour toutes les personnes malades, mais non Covid, qui souffrent beaucoup en cette période».

Par Zineb Ibnouzahir
Le 19/04/2020 à 10h52