«Toutes les vies se valent». C’est ce que dit le droit. Il n’y a pas de vie plus importante qu’une autre vie. C’est la mort qui le dit. Mais l’homme n’est pas de cet avis.
Ainsi, depuis le début de la guerre contre le Hamas, Netanyahou ne cesse de rappeler qu’une vie israélienne est plus importante que toute autre vie. Il le dit avec son langage, avec ses armes et ses bombardements où des civils ont été tués. Lui dit: «Je dois éradiquer le Hamas». Son armée lance des bombes sur des villes, des écoles, des hôpitaux, empêche les convois humanitaires de passer, affame la population de Gaza et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Le bombardement du camp de Barkasat, au sud de Gaza, le 26 mai, a fait plus de quarante morts, la plupart brûlés vifs, dont de nombreux d’enfants.
Les images sont insupportables. Les journalistes sont toujours interdits de faire leur travail dans le territoire de Gaza. Pas de témoins, c’est dire que l’assassinat des civils semble prémédité.
Quand on lui demande «jusqu’à combien de Palestiniens morts aurez-vous votre vengeance?». Il répond: «Jusqu’au dernier partisan du Hamas».
Lorsque la CPI (Cour pénale internationale) demande aux juges de lancer des mandats d’arrêt contre Netanyahou et son ministre de la Défense d’un côté, et les trois dirigeants du Hamas de l’autre, Israël, presque dans son unanimité, crie à l’antisémitisme. Ce cri, on l’a entendu aussi en Europe. «Comment oser mettre sur le même plan, un pays démocratique et un mouvement terroriste?» C’est un chantage discriminatoire.
Quand des éléments du Hamas ont commis un crime terrible le 7 octobre 2023 contre les habitants d’un kibboutz et des jeunes faisant la fête, le monde, ou presque tout le monde, a été horrifié. Personnellement, j’avais dit mon sentiment et j’avais condamné sans la moindre ambiguïté ce massacre. Ce qui m’avait valu des appels au meurtre de la part de l’ancien Chef du gouvernement et actuel secrétaire général du PJD.
Je savais ce que cette attaque allait avoir comme conséquence. Des dizaines de milliers de morts. Aujourd’hui, on parle de plus de 36.000 morts, dont 15.000 enfants. Sans compter les très nombreux blessés.
La question qui se pose est de savoir si, politiquement, l’attaque du 7 octobre «mérite» d’avoir un coût si élevé?
Il est vrai que le 7 octobre a réveillé la cause palestinienne. On n’avait jamais vu une telle solidarité avec la Palestine dans les campus des grandes universités américaines, anglaises et même françaises.
La cause était oubliée, ses dirigeants endormis dans le confort de l’argent envoyé par la communauté internationale, argent paraît-il détourné par certains.
Aujourd’hui, cette cause est devenue celle de la jeunesse qui cherchait un objectif. Une vie coûte une autre vie. C’est ce que les protestations des étudiants disent dans le monde.
En France, les journalistes et la plupart des hommes politiques refusent d’utiliser le mot «génocide» pour caractériser ce qui se passe à Gaza. Dans le quotidien israélien de gauche Haaretz du 14 janvier 2024, un éditorialiste israélien, Gidéon Levy, écrit: «À supposer que la position d’Israël à La Haye soit juste et légale, qu’Israël ne commet pas de génocide ou quoi que ce soit qui s’en rapproche. Mais alors de quoi s’agit-il? Comment appelez-vous les tueries de masse? Une discrimination sans limite et sur une échelle difficile à imaginer» (Cité par Elias Sambar, qui vient d’écrire «La dernière guerre», éd. Gallimard).
Les mots ont leur importance. Depuis la Shoah, certains mots ne peuvent pas être utilisés ailleurs. «Génocide» en est un. Mais pour celui qui meurt sous les bombes, pour les dizaines de milliers de Gazaouis tués méthodiquement, ils se moquent pas mal qu’on utilise ce mot ou un autre.
La mort les a couverts par un silence éternel.
La situation est bloquée. Aucune négociation n’aboutit. Les malheureux otages et leurs familles sont dans une angoisse profonde. Un dernier espoir viendrait de l’Amérique qui soutient et arme Israël: une trêve avec libération des prisonniers palestiniens et des otages israéliens. Le Hamas a qualifié cette proposition de «positive». On verra ce que fera Netanyahou.
Comme le dit Elias Sambar, ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l’Unesco, «Rien n’est entrepris pour arrêter la course à l’abîme». Il laisse la parole au poète Mahmoud Darwish:
«Et il y a morts et colonies, morts et bulldozers, morts et hôpitaux, morts et radars surveillant des morts qui plus d’une fois s’éteignent dans une vie, des morts qui survivent après trépas, des morts qui enseignent la mort au monstre des civilisations et des morts qui trépassent pour transporter la terre au-dessus des restes des défunts.»
La situation est bloquée, l’espoir empêché, et la haine fait des trous dans les esprits et les mémoires, d’autant plus qu’Israël a perdu cette guerre et son image est liée de plus en plus à l’acharnement d’une armée puissante contre des populations n’ayant où aller, où fuir le feu descendant du ciel.
Les bombardements de Gaza ont fabriqué au moins une génération d’orphelins qui voudront se venger.
L’attaque du 7 octobre a créé un précédent inoubliable et aussi brutal.
Comment les deux peuples arriveront-ils à dépasser tant de haine de part et d’autre?
Edgar Morin (102 ans!) écrit dans Le Monde du 22 janvier 2024: «C’est une leçon tragique de l’histoire: les descendants d’un peuple persécuté pendant des siècles par l’Occident chrétien, puis raciste, peuvent devenir à la fois les persécuteurs et le bastion avancé de l’Occident dans le monde arabe. (…) La mondialisation n’a créé aucune solidarité et les Nations unies sont de plus en plus désunies.»
Tout espoir de paix véritable ne cesse de s’éloigner. C’est une réalité qu’il revient au peuple israélien de corriger. S’il veut vivre en paix, qu’il oblige ses dirigeants à faire les concessions qu’il faut pour y arriver. Et ne pas oublier qu’une vie égale une autre vie.